De la vigne au lait
C’est le phylloxéra qui provoquera les plus gros bouleversements au plan agricole, et au sud des Deux-Sèvres à la fin du XIXe siècle. Non seulement parce que l’on n’y produira presque plus de vin, sauf un peu de vin de table, mais parce que ce sera la première pierre de
l’aventure de l’élevage laitier dans ce secteur. Elevage bovin et caprin successivement. Il est difficile de faire admettre localement ce tournant. Chacun constatait déjà que le manque de fourrage réduisait le nombre des attelages de labour, empêchait les améliorations :
« Avec plus de fourrages j’aurais plus de bestiaux, plus de bestiaux me donneraient plus d’engrais, et ces engrais me procureraient d’abondantes récoltes ».
Les statistiques et les nombreux écrits de Maître Jacques Bujault au début du XIXe siècle attestent notre propos. De même que les statistiques du préfet Dupin en l’An XII.
L’almanach de Maître Jacques de l’année 1834 finit par cette allocution :
« Jeunes gens, car je ne vois plus d’anciens sur la terre, écoutez mes paraboles. Le plus difficile n’est pas de faire des enfants, c’est de les nourrir. Il est encore aisé d’avoir du bétail. mais il faut qu’il vive. Qui soigne son bétail soigne sa bourse et qui ne le nourrit pas se ruine. »
Une statue a été érigée à Melle devant l’hôpital, en mémoire de ce grand-homme.
Jacques Bujault est né à la Forêt-sur-Sèvre, près de Bressuire, en janvier 1771. Il fait ses études au collège d’Angers puis fut tour à tour libraire, imprimeur, et avocat « par convention » au tribunal de Melle. Mais dès qu’un héritage l’eut rendu propriétaire, il quitta la ville pour les champs et vint s’établir à sa ferme de Challoue près de Melle. Là, il se fait laboureur et porte un grand chapeau large, une blouse et des sabots. Il se consacre entièrement à l’agriculture et publie des almanachs. Il est décédé en 1842.
« Jacques Bujault, placé au milieu des champs et du peuple cultivateur, résolut de faire sortir en quelque sorte du sein des guérets une voix qui pût être entendue du plus simple laboureur. C’est alors qu’il fonda l’Almanach du Cultivateur, ouvrage bien modeste par son enveloppe, mais contenant des traités populaires remplis de bon sens et des enseignements les plus utiles. (…)
Il distille de nombreux conseils dans ses almanachs : «
Le boulanger fait le pain mais le fumier fait le grain ; ou encore :
ne va aux foires et aux marchés que pour tes affaires, il y aura toujours assez de fainéants, d’ivrognes et de gourmands sans toi. »
Jacques Bujault n’invente rien, il prêche simplement l’application des méthodes suivies dans les pays où l’on cultive bien comme l’Angleterre, la Belgique ou l’Allemagne. Il reproduit les mêmes enseignements contenus dans les meilleurs écrits sur l’agriculture, mais il s’efforce de rendre ces enseignements et ces méthodes intelligibles à tout le monde, exécutables même par les plus pauvres fermiers. Il leur dit : «
Je vais vous enseigner les moyens de vous enrichir avec les seules ressources que vous avez dès aujourd’hui entre les mains ».
Conseils de Maître Jacques
« Vous cultivez de père en fils une certaine étendue de terre à laquelle vous ne demandez que du blé, et seulement un peu de fourrage pour empêcher votre bétail de mourir de faim. Eh bien, sachez que la cause de votre malheur, c’est que vous ne travaillez que sur deux choses épuisées :
1. Votre terre que vous ne pouvez pas fumer suffisamment ;
2. Votre bétail que vous ne pouvez pas nourrir de manière à le tenir en bon état.
Ecoutez-moi, si par exemple vous avez jusqu’à ce jour cultivé annuellement six hectares en blé, n’en cultivez désormais que quatre, et mettez les deux autres hectares en plantes qui vous donneront du fourrage, en betteraves, carottes, pommes de terre, sainfoin, trèfle, luzerne, vesce, choux, navets, selon la qualité et la convenance de votre sol. Avec le fourrage que vous recueillerez, vous nourrirez bien votre bétail, vous le garderez à l’étable plus longtemps que vous ne le faisiez auparavant, il prendra de la sorte une certaine valeur en argent, et cette valeur vous la réaliserez de temps en temps à la foire ; il vous donnera du fumier en abondance, et ce fumier vous aurez soin de le bien ménager, de l’augmenter par vos soins en empêchant son purin d’aller se perdre. De la sorte, vous aurez dès la seconde année de quoi fumer assez convenablement vos six hectares dont deux au moins seront toujours consacrés aux productions fourragères (…) »
« C’est principalement du sein des prairies artificielles
1 que le cultivateur tire les aliments qu’il donne à son bétail à l’étable. Ce sont le trèfle, le sainfoin, la luzerne, seule ou mêlée aux deux tiers avec de la graine de sainfoin. Ce mélange donne infiniment plus de fourrage et rafraîchit davantage la terre. Les avoines ou blés que l’on sème après le défrichement de ces prairies, viennent beaucoup mieux que ceux qui succèdent au sainfoin seul. D’ailleurs, ce fourrage est excellent et les animaux en sont très friands. »
Le « cercle » de Bujault est d’un raisonnement très simple : «
Point de fourrages sans prés, point de fumier sans bétail, point de bétail sans fourrages, et point de grains sans fumiers ». Au passage, les jachères disparaissent.
« On peut dire avec vérité
2 des trois départements formés de l’ancien Poitou, que le système des jachères et la vaine pâture sont les principaux obstacles qui s’y opposent aux progrès des différentes branches de l’agriculture… »
Il lui faudra beaucoup d’encre et des milliers d’almanachs pour convaincre les paysans très attachés aux anciennes méthodes. Le préfet des Deux-Sèvres, le baron Dupin ne signalait-il pas en 1804 «
la funeste puissance de la routine sur l’esprit de ses administrés » ? Rassurons-nous, le comportement était le même en Charente et dans la Vienne.
19 mai 1905
Conseil municipal, distillation alcoolique
Le conseil municipal considère que la commune qui n'a que peu de vignes, que ces vignes sont jeunes, que les propriétaires n'ont point l'habitude de faire distiller, est d'avis de ne désigner aucun lieu.
Bientôt arriveront les laiteries : le lait succède à la vigne...
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