Mule, mulet, bardeau et baudet

Pas de bon Deux-Sévrien qui ne connaisse l’histoire du plus bel animal du Poitou, au choix, le baudet, le mulassier du Poitou, le mulet, ou le bardeau. L’élevage des chevaux et des mulets s’est fortement développé dans le sud des Deux-Sèvres, de la Vienne et le nord de la Charente. Il existait de nombreux haras privés, un de baudets et un second de juments mulassières dans chacune des communes de Couture-d’Argenson et de Loubigné comme le relate le Préfet Dupin dans sa statistique de l’an XII. Les prix de ces animaux est convaincant.

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Le prix de la mule (ou mulet) est plus du double de celui du cheval de trait, ou du bœuf.
  • Chevaux étalons 700 fr. ;
  • Juments poulinières 200 fr. ;
  • Chevaux de labour, de selle et de travail, 150 fr. ;
  • Baudets de la grande espèce, 2.400 fr. ;
  • Anesses de la grande espèce, 200 fr. ;
  • Anes et ânesses de la petite espèce, 25 fr. ;
  • Mules et mulets de labour, 360 fr. ;
  • Bœufs, 160 fr. ;
  • Vaches, 60 fr. ;
  • Moutons et brebis, 8 fr. ;
  • Porc, 24 fr. ;
  • Chèvre, 8 fr. ;
  • Volaille, 0,40 fr.

Le sainfoin
Avec l’arrivée du sainfoin à la fin du XVIIe siècle en Angoumois et à Villefagnan, au XVIIIe dans le Poitou, l’élevage subit une embellie, même si la qualité globale des chevaux semble diminuer. Notons du sainfoin que le Poitou l’inclut dans la liste des productions « dîmables » au titre de la « verte dîme », contrairement à l’Angoumois. Ainsi, à Villefagnan, un procès sur la dîme du sainfoin durera cinquante ans. Il en sera de même dans bien des régions de France.
  • Les grosses dîmes se percevaient sur les fruits qui formaient le revenu le plus considérable d’une paroisse comme les froment, seigle, orge, avoine, vin, etc.
  • Les dîmes vertes et menues se percevaient sur les pois, fèves, lentilles, sainfoin selon le cas, lin, chanvre, etc.
  • Les dîmes de charnage sur les cochons, agneaux, veaux, poulets, etc.
  • Les dîmes novales se percevaient ou sur des terres nouvellement défrichées et qui ne l’avaient pas été anciennement, ou sur des terres anciennement défrichées mais nouvellement chargées de fruit.
Les plus belles mules sont Deux-Sèvriennes...
« C’est dans le département de Deux-Sèvres que se trouve la souche des plus beaux, des plus grands et des meilleurs mulets connus1. Ceux que l’on rencontre en Espagne et en Italie en sont originaires. Ceux qui sont employés aux passages les plus difficiles des Pyrénées et des Alpes proviennent de la Vendée et de la Charente. (…) Le mulet se ménage au travail, cependant il le soutient longtemps avec une constance remarquable. Il est très patient, mais il supporte mal les mauvais traitements, il se venge de coups de pieds et de dents. Il garde rancune… (…) Le mulet convient d’autant mieux que le cheval aux pays secs et dénués de fourrages qu’il consomme beaucoup moins. Il faut attendre trois ou quatre ans pour faire travailler le cheval, et le mulet au contraire fait un travail utile avant l’âge d’un an. Le cheval perd de sa valeur en travaillant, tandis que la valeur du mulet et de la mule a quelquefois doublé après trois ou quatre années de travail.
Pas de bon militaire qui ne craigne la disparition de ce bel animal.

« On emploie ordinairement à la culture2, des mulets ou des bœufs, et on fait des élèves en chevaux. Dans la Vendée et les Deux Sèvres, les habitants ont conservé l’ancienne habitude d’élever une grande quantité de mules et de mulets mais il est certain qu ils renonceront d’eux-mêmes à ce genre d’industrie car la monte du baudet revient à 12 ou 15 fr. à la majeure partie des cultivateurs, ce qui est peu profitable, et les engagera a faire des élèves en chevaux. Aussi pour augmenter le nombre des élèves pour améliorer les races doit-on écarter avec le plus grand soin toutes les juments qui ne sont pas susceptibles de belle production. »
A Couture-d’Argenson, en 1826, il y avait un haras qui produisait de beaux mulets « dont on fait un commerce considérable »3.

Un haras privé ou atelier
« Excepté dans l’arrondissement de Melle4, les baudets ne sont élevés que dans les haras privés qui portent le nom d’ateliers et les baudets étalons celui d’animaux. Le département des Deux-Sèvres seul compte 85 haras privés. Nous verrons plus tard, en parlant de l’élevage des mulets, que le nombre des étalons se trouve justifié par l’importance de cette industrie agricole. Le haras (ou atelier) n’est pas un établissement que chacun peut créer. Il faut une mise de fonds considérable pour l’achat des animaux et leur entretien. Nous verrons plus loin que les bénéfices ne sont point en rapport avec d’aussi lourds sacrifices et que ceux qui entretiennent de pareils établissements ont droit à la reconnaissance du pays. Ils sont conservés par une sorte de tradition dans les mêmes familles. Dans le principe, les seigneurs riches de nombreux fermages furent obligés pour assurer le service des juments qui peuplaient leurs fermes d’acheter un ou plusieurs baudets. Plus tard la clientèle fut augmentée par les voisins qui venaient réclamer les bons offices des étalonniers, et de proche en proche, et pour satisfaire aux exigences de bon voisinage, le nombre des baudets. »


Le baudet
L’âne résulte de l’accouplement de l’âne et de l’ânesse. Les ânes étalons se nomment bourriquets, baudets, et animaux dans les départements de la Vienne et des Deux-Sèvres.

« Le baudet nouveau né (appelé fedon)5 est entouré de tous les soins de toutes les cajoleries que peuvent inventer les gens de la ferme. Pendant un mois, on ne l’abandonne ni le jour, ni la nuit. On lui délaye de la farine avec du lait pour l’insuffisance de celui de la mère, on surveille tous les mouvements de l’ânesse pour l’empêcher de marcher sur son fils. Le jeune baudet est sevré à neuf mois. (…)
A l’âge de trente mois, il commence son métier, prend rang dans le haras privé désigné sous le nom d’atelier où il y a cinq baudets, et un ou deux chevaux mulassiers poitevins. II commence par saillir une ou deux juments. Plus tard, à trois ans et demi, une ou deux fois, enfin à quatre ans et demi il fournit cinq à six fois par jour. On a constaté qu’un baudet a pu le même jour avec onze juments, et que la dernière est pleine. (…)
Pour faire entrer l’âne en chaleur avant de monter une jument, il faut d’abord lui montrer une ânesse, et quelquefois même on est obligé de recourir aux coups de bâton, même en présence de l’ânesse. Quant à la jument, il est quelquefois nécessaire de lui mettre des lunettes pour qu’elle ne voie pas l’âne étalon qu’elle refuserait opiniâtrement. L’âne peut vivre et travailler de vingt-cinq à trente ans. On donne le mâle à l’ânesse sept à huit jours après qu’elle ait mise bas. (…)
La saillie porte le nom de bridée. Quelle que soit la lascivité de ces animaux, on est obligé de les exciter au coït par des moyens factices indécents, quelquefois même de leur montrer (sic). Chaque maquignon - on désigne ainsi le palefrenier -, pour diriger la monte, a sa chanson particulière pour l’érection. Cette chanson, composée de monosyllabes, varie sur tous les tons et porte le nom de « trelanda ». Le baudet devenu étalon est renfermé dans une stalle où la lumière n’arrive jamais. Il n’en sort que pour approcher la jument et encore celle-ci est-elle placée près de la porte entre deux chevrons de bois fixés au mur. C’est là qu’a lieu la saillie. Afin de rendre la chose plus facile, et moins fatigante pour le baudet, le sol où repose la jument est creusé de 25 à 30 centimètres.
La monte commence à la mi-février et finit au mois d’août. Après chaque saillie, le baudet est gratifié d’un picotin d’avoine. L’étrille et la brosse n’ont jamais effleuré ses poils. Si parfois il est libre, son premier soin est de se vautrer par terre et de se frotter sur le sol. Il montre ainsi à son maître, combien il lui serait agréable d’être brossé et nettoyé des malpropretés qui recouvrent sa peau… »

Le mulet et bardeau
Le mulet et la mule sont le fruit de l’accouplement de l’âne et de la jument, le bardeau de celui du cheval et de l’ânesse. Mais le mulet et le bardeau ne reproduisent pas leurs espèces.

L’ânon, et le muleton, n’exigent pas plus de soins que le poulain. Le muleton est sevré naturellement par la jument à six ou sept mois. L’ânon tète un an et plus si on le laisse avec sa mère, il faut même l’y laisser si l’on veut faire usage du lait d’ânesse. On a tort de croire que la jument qui a fait des mulets est inhabile à faire des poulains. »
« Les mulets sont recherchés6 dans les départements voisins des Pyrénées, des Alpes, dans l’Auvergne, enfin dans tous les pays montagneux. »
« Les bardeaux sont toujours inférieurs aux mulets par la raison que l’ânesse est inférieure en qualité à la jument. En vertu de ce principe, pour obtenir de beaux mulets, il sera nécessaire de donner de belles juments à un âne de belle taille. (…)
Ce n’est donc pas si facile de forcer la nature…

Chevaux et mulets de front
Les mulets étaient attelés aux côtés du cheval (à droite sur la photo) pour tirer la charrue ou la lieuse.Mais la réquisition des chevaux, en 1939 par l’armée française, puis par les Allemands à partir de 1940, amena bien des agriculteurs à s’intéresser à l’attelage de trois mulets. Maurice Morin, à Pailleroux (commune de Villefagnan), n’a jamais racheté de chevaux depuis, il ne se séparera de ses mulets que pour acquérir son premier tracteur à la fin des années cinquante.

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1 Dictionnaire général et complet des persécutions souffertes par l'Église catholique de Paul Belouino, 1853.
2 Journal des sciences militaires, 1831.
3 Dictionnaire géographique universel contenant la description de tous les lieux du globe intéressants sous le rapport de la géographie physique et politique, de l’histoire, de la statistique, du commerce, de l’industrie, etc. 1826
4 Nouveau dictionnaire pratique de médecine, de chirurgie, et d'hygiène vétérinaires, 1841.
5 La connaissance générale du cheval, études de zootechnie pratique, 1850.
6 Cours élémentaire d'agriculture et d'économie rurale de Raspail, 1840.





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