La chèvre, animal proscrit antan
La chèvre, un bel animal qui n’a pas toujours été très bien accepté en Poitou, ni en Saintonge ou en Angoumois, pour les raisons du mal qu’il apportait aux bois, et surtout à la vigne. Cette vigne qui va se développer considérablement au Moyen-Age car il fallait bien remplir les calices… Les coutumes interdisent ce caprin aussi dans les forêts. Elle avait pourtant un rôle primordial lorsque dans un village il y avait un bébé, et aucune femme capable de l’allaiter. Pour la survie du nourrisson, c’est la chèvre qui donnait son lait, une chèvre choyée, nourrie par tous, mais cachée des regards et des gardes seigneuriaux. Les « biques » seront donc plus nombreuses dans les pays de landes où la vigne était inexistante. La chèvre donne parfois son nom à la paroisse, exemple à la Chèvrerie, en Charente. A Loubillé, à cheval sur les coutumes du Poitou, d’Angoumois et de Saintonge, elle ne pouvait être la bienvenue. Pourtant, les prairies du bord de l’Osme et la forêt d’Argenson lui tendaient les bras. Elle a su forcément s’imposer à la condition de savoir jouer à « cache-cache ».
Chèvres poitevines
« Les chèvres2 (jurisprudence) sont des animaux malicieux, elles ont une salive venimeuse et brûlante, leur haleine gâte les vaisseaux propres à mettre le vin et empêche le jeune bois de repousser.
Plusieurs coutumes défendent d’en nourrir dans les villes. Celle de Poitou (art 196) dit que les bois taillis sont défendables pour le regard des chèvres jusqu’à ce qu’elles aient cinq ans accomplis et à l’égard des autres bêtes jusqu’à quatre ans.
Le lait de chèvre est employé pour l’usage de la table dans plusieurs pays, dans les provinces méridionales du royaume par exemple, et il n’y est pas très inférieur, pour le goût, au lait de vache ordinaire, à celui des environs de Paris. On prépare aussi avec ce lait de très bons fromages. »
« Essayons de le décrire avec l’aide de l'agronome, ou dictionnaire portatif du cultivateur (Pons Augustin Alletz) contenant toutes les connaissances nécessaires pour gouverner les biens de campagne, et les faire valoir utilement, pour soutenir ses droits, conserver sa santé, et rendre gracieuse la vie champêtre... »
« La chèvre est un animal à cornes et à quatre pieds qui donne de fort bon lait, on en élève par troupeaux. Une bonne chèvre doit être de grande taille, large du derrière, le poil doux et uni, les mammelles grosses, les pis longs, les blanches passent pour avoir plus de lait. On fait cas de celles qui n’ont point de cornes. Les chèvres ne vivent guère plus de huit ans, elles portent jusqu’à près de sept.
Elles demandent qu’on les tienne proprement, elles se gouvernent comme les brebis, on les mène aux champs où on les ramène dans le même temps. Si on en a un troupeau, on n’en peut donner que cinquante à conduire au chévrier, parce que ce bétail n’est pas facile à mener. Ces bètes trouvent facilement de quoi paître partout et dans les lieux les plus stériles, les landes sont les pâturages qu’elles aiment le mieux. En hiver, on les nourrit avec des feuilles d’arbres, des choux, des herbes sèches, des raves, des navets, l’herbe appellée « quintefeuille » et la pâture pendant la rosée les rendent abondantes en lait, on doit seulement les faire boire soir et matin et les tenir chaudement en hiver car le froid leur est fort nuisible. Elles donnent du lait pendant quatre ou cinq mois de l’année et on les trait le matin et le soir. On doit faire accoupler les chèvres avec les boucs lorsqu’elles ont deux ans et dans le mois de novembre afin que, quand elles chevrotent, elles trouvent de nouvelles herbes pour avoir plus de lait. Une bonne chèvre donne quelquefois jusqu’à deux chevreaux d’une portée. Les chèvres demandent qu’on les peigne pendant qu’elles chevrotent car elles souffrent beaucoup. On doit les nourrir de foin quelques jours avant et après. On nourrit le chevreau de lait et de la semence d’orme et de lierre. On les éleve pour le reste comme les agneaux. Les chèvres allaitent un mois. Quand on a beaucoup de chèvres, on fait mieux d’élever les chevreaux pour augmenter le troupeau que de les vendre petits.
Les maladies des chèvres sont à peu près les mêmes que celles des brebis. Et conséquemment les remèdes le sont aussi. Les chèvres et les chevreaux sont d’un bon profit à la campagne par plusîeurs raisons. Elles donnent plus de lait que les brebis et leur lait est plus sain, il est même souvent ordonné pour la santé. (…)
Un animal au poil
« Les jolies chèvres blanches que j'avais remarquées3, de l'autre côté de Niort (…). La propreté avec laquelle on les tient, me fit désirer de les voir allier à la noble race du Tibet. (…) Je solliciterais, pour les chèvres du Poitou, les faveurs d'un bouc tibétain, ou caramanien, ou bukarien ; enfin d'un bouc à duvet propre à faire des tissus fins et moelleux. Je crois qu'un animal de cette espèce serait d'autant mieux ici que les chèvres n'y sont point par grands troupeaux, mais réparties par petit nombre sur les propriétés. Je sais bien que dans nos Alpes françaises, nous avons déjà des chèvres à duvet et qu’il y faudrait un moindre nombre de croisements pour élever la race à la gloire du cachemire, que dans le Poitou dont les chèvres ne jouissent pas, ou jouissent faiblement de cette disposition avantageuse, mais ici on serait plus sûr de ses origines. »
Il faut museler les chèvres
Le 27 avril 1877, le plus sérieusement du monde, le maire de Loubillé avait pris cet arrêté : « A partir de la publication du présent arrêté, il est défendu de conduire les chèvres sans qu’elles soient pourvues d’une muselière. Le garde champêtre est chargé d’assurer l’exécution de ce présent arrêté. »
Ou les tenir en laisse
Certains maires n’ont pas hésité vers 1880 à exiger que les chèvres soient tenues en laisse comme ce fut le cas à Ebréon (Charente). A Pioussay, le maire impose qu’elles soient attachées sur le lieu du pacage. Et il interdit de les laisser pacager dans les vignes, de même que les autres animaux…
« Nous, maire de la commune de Pioussay, avons arrêté ce qui suit :
Art 1 : vu les différentes plaintes qui nous sont journellement portées sur les dégâts occasionnés par les chèvres sur les bois et haies de cette commune, défendons expressément à tous les propriétaires de les laisser circuler le long des chemins sans être mouraudées4, et rendues aux destinées pour leur pacage, de les tenir attachées.
Art 2 : le garde-champêtre est chargé de surveiller à l'exécution du présent arrêté.
A la mairie de Pioussay, le 12 mars 1821. Signé: Nicolas Mandé-Chabot, maire (propriétaire du château de Jouhé). »
Autre arrêté municipal du maire de Pioussay :
« Aujourd'hui, cinq juin mil huit cent vingt deux, nous maire de la commune de Pioussay, canton de Chef-Boutonne, arrondissement de Melle, département des Deux-Sèvres, vu les plaintes journalières qui nous sont faites relatives aux bergers et bergères qui laissent pacager leur brebis dans les différents fiefs de vigne qui existent dans la commune, et d'après la demande du conseil municipal et des dix plus imposés au rôle foncier de la dite commune, avons arrêté ce qui suit :
Art 1 : à dater de ce jour, il est expressément défendu à tous bergers et bergères de laisser pacager dans aucuns temps leurs brebis, cheval, et autres, dans les vignes qui existent dans la commune, sous peine d'être traduit devant le tribunal de police.
Art 2 : le garde-champêtre sera spécialement chargé de l'exécution du présent arrêté, après qu'il aura été approuvé par M. le Sous- Préfet.
A la mairie de Pioussay le jour, mois et an susdit. Signé du maire Nicolas Mandé-Chabot. »
Une chèvre poitevine au service des Limousines.
Le lait et le fromage de chèvre
Après de nombreuses années d’interdiction, avant et après la Révolution, la chèvre finit par s’imposer dans les petites fermes. On voyait antan de vieilles paysannes en mener paître une, ou quelques-unes, sur les bords des chemins. Elle s’occupait pendant ce temps au tricot, ou au fuseau. Si une bête s’échappait, le chien avait tôt fait de la ramener vers sa gardienne.
« D’une économie de subsistance à une économie de marché - du XIXe siècle à 1970. Les chèvres demeuraient à leurs côtés [les paysans] comme s’il s’agissait de leur famille nombreuse5. De fait, elles s’avéraient en avoir sauvé un grand nombre pendant de longues années de malédiction et de disette qu’avait duré la guerre. »
Il n’y a pas longtemps, un peu de fromage et quelques litres de lait pour la laiterie assuraient un complément de revenu. Voire un moyen d’en compenser l’absence ou une faible retraite. Désormais, la chèvre vit en stabulation, parfois jusqu’à un millier. Son lait permet de faire des fromages que beaucoup aimeraient de la même saveur que ceux de leur enfance. L’Amalthée n’a-t-il pas encore des disciples dans le canton de Chef-Boutonne ?
Terre des chèvres : http://public.terredeschevres.fr/plan.html
Il paraît que des chèvres doivent être statufiées pour ne pas être oubliées. On en voit de très belles à Javarzay, au carrefour des routes de Brioux et Melle. On les préfére vivantes dans les prés, mais ces statues sont un pis-aller en attendant un retour au pâturage. Ce sera bientôt chose faite car des éleveurs reviennent à cette pratique source d’économie en foin et aliments.
Le tourteau fromager, à la saveur incomparable.
Le tourteau fromager6
Le tourteau fromager est cité comme l’un des emblèmes des Deux-Sèvres. Il possède même sa confrérie ! http://www.vignobletiquette.com/autvin/conf_gastro6.htm
« Le tourteau fromager est attesté dès le XIXème siècle comme une spécialité du Poitou et trouve aujourd'hui une place privilégiée parmi les spécialités Deux-Sévriennes. A l'origine, il est fabriqué à partir de fromage de chèvre frais, d’œuf, de farine et de sucre. On le trouve confectionné également au lait de vache. Il doit sa forme aux moules spéciaux que chaque famille possédait autrefois. Le tourteau fromager était servi traditionnellement lors des rassemblements familiaux » nous assure La Confrérie du Tourteau Fromagé.
Notons que la préparation de ce tourteau nécessite des moules spéciaux à fond arrondi. Jusqu’à l’entre-deux-guerres, le tourteau fromager était réservé au fêtes familiales. On en préparait en vue des ballades ou assemblées que l’on cuisait dans le four communal. Mais il ne se vendait pas encore aux foires et marchés. C’est Amélie Thibaudault, de la région Saint-Maixentaise, qui est à l'origine de la commercialisation de ces fabuleux tourteaux fromagers. On lui réclama partout sa précieuse marchandise, son commerce connut alors une rapide expansion dans la région de Niort.
La chèvre nourrice
« J'ai toujours éprouvé un sentiment de profonde tristesse7, lorsque, interrogeant les statistiques de mortalité, je constatais les épouvantables ravages dus à la mortalité infantile.
On ne répétera jamais assez, on ne proclamera jamais assez haut, les chiffres effrayants qui correspondent aux terribles pertes subies du fait des maladies de la première enfance. L'enfant qui naît doit être nourri, au moins pendant une année par le lait d'une nourrice saine et bien portante. Cette alimentation qui introduit directement le lait de la mère dans l'estomac de l'enfant, est la seule qui puisse assurer à ce dernier un développement normal.
Malheureusement, hélas ! pour de multiples causes, que je n'ai pas à énumérer ici, il n'en est presque jamais ainsi, à défaut du lait de la mère, l'enfant sera nourri avec du lait, c'est certain, et c'est du lait de vache qui servira à son alimentation la plupart du temps. Avant de le donner au nourrisson, ce lait sera modifié dans sa structure interne, par cette opération propre d'autre part à le priver de germes nocifs, et qui s'appelle en terme général « la stérilisation ».
Donc, dans la plupart des cas, l'enfant absorbera du lait de vache ayant été chauffé, conservé, maternisé, manipulé, en un mot, un lait truqué. Un tel lait, certes, pourra nourrir un enfant robuste, mais en lui faisant toutefois courir les chances d'un développement anormal, et des risques d'affections graves de l'appareil digestif.
Dans le lait de chèvre, allons-nous donc posséder l'arme qui va nous permettre de lutter contre la redoutable mortalité infantile ? On serait déjà tenté de répondre affirmativement au seul examen des qualités alimentaires de ce fait. Pour les bien portants, c'est l'aliment le plus sain, pour les malades, un remède précieux.
Le lait de chèvre sera absorbé « naturel, vivant », n'ayant subi aucun chauffage qui le modifie, aucun de ces modes de stérilisation qui en font un véritable lait de carence, en un mot la tuent. C'est que la chèvre possède le rare privilège d'être pratiquement privée de germes pathogènes. La chèvre est réfractaire à la tuberculose. La constitution chimique de son lait le fait apparaître comme un aliment de digestion parfaite, en tout point comparable au lait de femme.
Du fait même, que la chèvre est un animal de petite taille, docile, facile à manier, le lait qu'elle produit peut être transporté très près du consommateur. Il n'est pas absolument rare de voir de jeunes enfants téter leur chèvre qui devient parfois pour eux une nourrice affectueuse et attentive.
Absorbé aussitôt la traite, à la température même de la laitière, le lait est en pleine effervescence vitale, en puissance de « calories et vitamines naturelles ».
Je conclus : l'alimentation des jeunes enfants par le lait de chèvre, est utile, indispensable même à leur développement normal. Cette alimentation première leur assurera pour longtemps dans la vie un terrain solide, qui l’éloignera de cet état de réceptivité si funeste aux faibles.
Amalthée, mère de toutes les chèvres-nourrices, n'a-t-elle pas, à l'aurore des temps mythologiques, allaité de ses propres mamelles, Zeus, fils de Kronos ? ».