Mémorial des Deux-Sèvres du mardi 8 décembre 1885
L’affaire du curé de Pioussay
Tribunal correctionnel de MELLE
Président : Me GRASSEAU ; juges MM° RIVASSEAU, juge d’instruction, et EPRINCHARD, juge suppléant ; ministère public : M° DEBECT, procureur de la république.
Le jour de l’audience est arrivé ; et Dieu sait si la réaction fait du bruit autour de cette modeste affaire. Voici la commune de Pioussay en train de devenir légendaire, grâce à son curé M. Pierre Granier.
Il faut donc que vous sachiez que Pioussay est un bourg du canton de Chef-Boutonne, dont le nom, il y a quelques années, n’était guère connu qu’a deux lieues à la ronde. On y arrivait difficilement. Des chemins étroits et rocailleux au milieu des bois et des bruyères conduisaient au chef-lieu de la commune, à 8 kilomètres de Chef-Boutonne. Ils n’étaient guère fréquentés que par les paisibles habitants de la contrée.
M. Granier, originaire de la Vienne fut nommé desservant de Pioussay, et la renommée de ce petit pays s’étendit bientôt au loin. Notre curé guérisseur ; Est-ce au séminaire qu’il avait appris son art ?, nul ne le sait. Toujours est-il que sa science porta des fruits.
Après avoir soulagé beaucoup de malades qui se portaient bien, conseillé aux uns de boire sur des feuilles de noyer, aux autres quelques pâtes d’amande douce, à ceux-ci quelques mois de repos, à ceux-là une bonne nourriture et le meilleur vin de Bordeaux, sa réputation grandit. Les habitants des communes voisines eurent recours à ses lumières, et plus tard, la France entière devait parler du curé de Pioussay.
Aujourd’hui, une correspondance a été établie par les chemins de fer de l’état à la gare de Chef-Boutonne, desservant Pioussay, et chaque jour une vingtaine de voyageurs prennent la route de cette localité.Si je vous disais que le général Brière de l’Isle lui-même, notre ancien commandant au Tonkin, est venu aussi consulter le curé de Pioussay ; et combien d’autres ?…Que je voudrais avoir des nouvelles de leur santé ?
Bref, le commerce de M. Granier s’exerçait sur une si vaste échelle que les disciples d’Esculape s’en sont émus. Il existe une vielle loi du 29 ventose an XI, qui prévoit l’exercice de la médecine et qui veut que toute personne qui se livre à cet art soit munie d’un diplôme. Il ne pouvait pas être permis à un curé qu’a tout autre d’enfreindre ses dispositions et plainte fut portée au parquet de Melle.
Le parquet de Melle hésita longtemps ; mais les médecins revinrent à la charge, et cette fois la Chancellerie ordonna une instruction judiciaire.
Non seulement M. Granier tient à se livrer, sans diplôme, à l’exercice de la médecine, mais il a un autre talent : celui de se livrer en chaire à des attaques contre le Gouvernement. Et portant il n’avait pas à s’en plaindre ; voilà de longues années qu’il fait son commerce, qu’il remplit ses poches, donne des soulagements aux malheureux et console ceux qui pleurent. Tout cela devait suffire à son activité ; Il n’avait pas besoin de chercher par des critiques et des censures à guérir la République, qui n’a que faire de ses remèdes.
Voici donc notre homme en police correctionnelle. Et toute la gent cléricale est sur le pied.
C’est que le grand orateur du parti est là. As- tu vu Robinet ? crie t-on dans toute la ville, comme jadis dans la Charente-Inférieure on entendait dire à tous les échos : As-tu vu Jolibois ?
Pauvre petite ville si fière, si démocratique, coquettement perchée sur le coteau qui domine la charmante vallée de la Béronne, on la dirait transformée aujourd’hui en une vaste jésuitière.
C’est que Me Robinet de Clery est là. Et sa réputation est grande dans le monde clérical. Il a en effet du succès ; je me rappelle qu’il y à quelques temps, il à réussi à faire condamner par la cour de Poitiers son client ; M le marquis de la Rocheservière, l’homme à la bombe, à 15 jours de prison, alors que les juges de première instance ne l’avaient gratifié que d’une amende. Ce précédent est de bonne augure, et nous devons avoir affaire à un homme habile.
Malgré l’heure matinale, le premier train de la journée amenait une foule de curieux, des témoins, des ecclésiastiques escortés de leurs amis, accourus pour assister aux débats.
C’est le curé de Paizay-Naudouin qui ouvre la marche à la tête de 40 de ses paroissiens. Tout ce monde défile et se répand dans la ville, et nous allons le voir à onze heures assiéger les portes de l’audience.
Au tribunal l’affluence est considérable. Des places ont étés réservés d’un coté de la barre, et beaucoup de dames viennent les occuper. La société Melloise est au complet.
De l’autre coté et devant le banc de défense, le prévenu entouré d’une vingtaine de ses confrères, le bouillant curé de Brioux, celui de Thorigné, l’autre de […[, ma foi ! je ne reconnais plus que celui de Paizay-Naudouin, qui a lâché provisoirement son escorte .
Les témoins arrivent et viennent se placer peu à peu sur les bancs qui leur sont destinés :14 à la charge et 44 à décharge, au total 58, ça promet d’être gai ! La plupart de ces derniers, clients du curé médecin, viennent serrer la main de leur docteur. On rit, on se félicite, tout le monde est content et votre serviteur aussi.
Bientôt, Me Robinet de Clery fait son entrée, suivi d’un jeune confrère, Me Paul Carré, nouvel avocat du barreau de Melle, tout deux portent sur leurs poitrines la décoration pontificale, une croix large comme la main. Me Robinet de Clery est également décoré de la légion d’honneur et de la médaille militaire, ce qui vaut mieux que le reste.
Derrière le tribunal, nous remarquons entre autres notabilités, MM. Geoffrion, nouveau président du tribunal de Niort, et Dutiers, avocat du barreau de Niort.
A midi le tribunal entre en séance.
L’huissier fait appel des témoins.
Parmi ceux à décharge, on entend les noms de deux magistrats du tribunal de Ruffec : MM. Minaud, juge et Guillaud Debroux, juge suppléant, et de M. Beguier maire de Pioussay que le curé usant de malice cousue de fil roux à tenu à faire assigner.
Je passerais rapidement sur les dépositions de tous ; 4 contraventions seulement d’exercice illégal ont été relevés.
C’est d’abord le témoin Larue qui vient déposer, qu’atteint d’une gastrite, il est allé voir M. le curé qui lui a ordonné de manger de 4 heures en 4 heures, de boire du bouillon et de la tisane d’orge, et de se faire des applications d’eau chaude sur l’estomac. Il ne lui a point offert de l’argent, on ne lui en a point demandé.
La femme Moineau avait sa petite fille qui souffrait de coqueluche. M. le curé lui a conseillé de prendre de l’huile d’amande douce. Elle lui a offert de l’argent, mais M le curé à dit qu’il n’en voulait pas.
Alexandre Gaudin était malade et avait fait appel en vain à toutes les sciences médicales du pays. Il est venu frapper au presbytère de Pioussay et on lui a donné, dit-il , un petit régime, notamment de boire du vin le meilleur qu’il avait. Il s’en est trouvé. Je n’ai pas de peine à le croire.
Le quatrième témoin n’était pas malade ; mais ému par tout le bruit qui se faisait autour du nom du curé de Pioussay, il a tenu à le consulter tout de même, sans doute pour l’avenir.
On lui a dit de continuer à bien se porter ; quand à sa fille, un peu souffrante, de bien se nourrir et de boire de la bière.
Brunet avait un panaris. M Granier lui a ordonné de mettre de l’onguent de la mère.
Mélanie Rousselot, il y a sept ou huit ans, a fait venir M. le curé pour donner des soins à son père, dangereusement malade. Les médecins lui avaient donné conseil de garder la chambre. Le curé lui a recommandé de l’exercice, le grand air. Rousselot a suivi ce dernier avis. Au bout de quelques jours, il est tombé pour ne plus se relever.
Samson, voiturier, transporte à Pioussay de sept à huit malades par jour. Il a causé souvent avec eux et a appris que M le curé ordonnait des décoctions de café vert, de boire sur des feuilles de chêne, de noyer, de boire de la bière. Beaucoup lui ont dit qu’ils avaient offert de l’argent, mais que M. le docteur ne voulait pas en recevoir.
Les autres témoins Brunet, Marie Pringaud, Robinaud, Quéron, Mme Brenet, Fraigneau, déposent des faits de critique et de censure des actes du Gouvernement et de l’autorité publique.
En chaire, M. le curé disait ; à propos de la loi sur l’instruction publique : «qu’on introduisait dans les écoles des livres qui profanaient et empoisonnaient l'âme des enfants ; qu’il fallait leur apprendre le catéchisme, puisque monsieur et madame l’instituteur et l’institutrice laïques ne le faisaient pas.»
A propos des impôts : «qu’on était surchargé d’impôts ; que ces gens s’engraissaient à nos dépens ; qu’on lui avait enlevé les revenus des cimetières, et maintenant qu’ils avaient commencé à prendre et voler, on ne savait quand ils s’arrêteraient.»
Au sujet de l’expédition au Tonkin : «qu’on faisait la guerre à des sauvages, qu’on aurait mieux fait de laisser tranquilles ; que demain nous aurions la famine ; qu’il fallait prier pour la cessation de la guerre, de la peste, du choléra, que sais-je encore !»
Au sujet de l’enterrement de deux enfants morts-nés fait par un pasteur protestant : «qu’on avait profané le cimetière, qu’on y avait mis de la pourriture, qu’il fallait le désinfecter, qu’il ne savait en vertu de qu’elle loi le permis d’inhumer avait été accordé.»
Enfin, à propos d’une délibération du conseil municipal de Pioussay : «qu’elle contenait quinze faux, quinze erreurs ; qu’il en aurait pour quinze dimanche à la discuter, que ceux qui l’avaient signé étaient des ignorants et avaient perdu la tète ; que deux avaient refusé : Terrasson, parce qu’il est président du conseil de fabrique, et Texier, parce que c’est un homme d’esprit.»
Nous passons à l’audition des témoins à décharge. On en entend 5 ou 6 et la défense renonce à l’audition des autres. Merci , mon Dieu !
C’est le sacristain et se sont les marguilliers, les âmes pieuses du village, qui viennent témoigner des bonnes intentions de M. le curé. Il m’a rendu service, dit l’un. Il a toujours dit la vérité dit l’autre. Il lisait un mandement, dit le troisième, recommandant de prier Dieu pour la cessation de la peste, le choléra, la conversion des impies. L’institutrice a dit dans sa classe, ajoute le quatrième, que M. le curé était un charlatan, et que quand on allait à la messe on allait à la comédie… Franchement elle avait bien un peu raison, si l’on songe à toutes ces inepties et à tous ces propos tenus en chaire.
Arrive l’interrogatoire du prévenu.
M. Granier est un homme de 50 et quelques années. Les cheveux blancs, les lèvres épaisses, physionomie ordinaire, s’exprimant difficilement, tel il se présente à la barre. Il ne croit point avoir commis de contravention. Il a toujours agi avec prudence, se renfermant dans les statuts de son diocèse et dans les recommandations de son évêque. Il ne donne point de conseils médicaux, mais de simples avis de nature à soulager ceux qui souffrent et qui ont recours à lui.
S’il a reçu de l’argent, c’est comme intermédiaire et pour être employé à de bonnes œuvres.
Quand aux propos qu’on lui impute, il ne les a points tenus. Il n’a fait que lire un mandement de l’évêque de Poitiers et une encyclique du Pape.
La parole est au ministère public .
Me Debec, procureur de la république, passe en revue les faits reprochés à l’inculpé. Il pouvait vivre heureux, paisible dans cette commune de Pioussay, cela ne suffisait point à son ambition. Il a commencé par donner ses soins à ses paroissiens, rien de mieux ; mais bientôt son presbytère est transformé en un véritable cabinet de consultation médicale. On vient de loin pour consulter. Il ordonne des remèdes pharmaceutiques, ce qui n’est pas permis. Il ne reçoit pas d’argent, je veux bien le croire (pas moi !) cela fait honneur à son désintéressement, mais cette circonstance ne fait pas disparaître la contravention.
Non-seulement, nous le voyons exercer illégalement la médecine, mais bientôt il songera à devenir un homme politique. Il fait de sa chaire une tribune et nous l’entendons tenir des propos, des critiques injurieuses contre le gouvernement, contre les lois, contre le conseil municipal. «Quand je rencontre un prêtre, s’écrie le ministère public, dévoué à son ministère, s’occupant exclusivement des intérêts religieux, je le salue ; il est digne de tous les respects ; mais je ne saurais trop blâmer ceux qui sortent de leur domaine, qui se mêlent aux luttent des partis ; M le curé de Pioussay est de ce nombre. Les divers chefs d’inculpation relevés contre lui sont tous établis, et le tribunal lui fera une sévère application de la loi.»
Me Robinet de Clery le présente pour un pauvre prêtre d’une petite commune du canton de Chef-Boutonne, victime des haines et des dénonciations d’une coterie. «Il y a 26 ans qu’il exerce son ministère dans ce village où il voudrait mourir, soulageant les misères humaines, prêtant l’oreille à toutes les infortunes, dévoués, bon, généreux. Lui, un homme politique, il n’y a jamais songé. Chassons de ce débat ce fléau de la politique. Je voudrais convaincre tout le monde que ces poursuites sont injustes, qu’elles ne sont que le résultat de rancunes.»
«M Granier n’exerce pas la médecine. Il donne des avis, des conseils, par charité et par humanité. Il est pauvre ; il veut rester pauvre. Son presbytère est un des plus pauvres et des plus délabrés du canton de Chef-Boutonne. (C’est de la faute de M. le curé ; je vous assure maître Robinet, qu’il a de quoi le réparer.) Il est désintéressé.Quelques personnes ont laissé de l’argent sur l’autel de la Sainte Vierge, c’est vrai, mais M. le curé n’en profitait pas. Il était employé à de bonnes œuvres. »(Je vous répète maître Robinet, que personne n’en croit rien, et vous non plus !
«Quant aux propos, ils ont été dénaturés, travestis par une coterie malfaisante. M le curé a lu un mandement de l’évêque, une encyclique du Souverain Pontife, mais sans commentaires. Quant à la délibération critiquée du conseil municipal, M. le maire ayant fait afficher sur les murs de l’église cette délibération blessante pour les membres du conseil de fabrique.»
«Un acquittement est la conséquence inévitable de ce procès.» M° Robinet de Clery supplie les juges de le prononcer.
«Chassez de vos délibérations, toutes préoccupations étrangères à ce débat. La justice reste étrangère à la politique, à toutes les œuvres malsaines de l’esprit de parti. J’ai été ardent, moi aussi, autrefois. Aujourd’hui, j’ai déserté la lutte ; j’ai des amis dans tous les partis. Notre pays divisé, déchiré, désorienté, a besoin de calme, de repos, et du concours de tous les cœurs honnêtes. Travaillons tous à son apaisement.» (Bravo ! bravo !, mais alors, dites donc à vos amis de commencer ; et qu’ils s’unissent à nous pour défendre et soutenir le gouvernement républicain.)
Je ne vous garantis pas le texte exact de cette péroraison. Mais, c’est à peu près le sens. Me Robinet de Clery a certainement du talent, et j’aurais mauvaise grâce à soutenir que sa défense un peu longue (ah !, vous auriez pu vous dispenser, mon cher maître, de nous donner lecture intégrale du mandement de monseigneur et de l’Encyclique de notre saint-père le pape) n’a pas été habile, élégante et remarquable.
A huitaine pour le jugement.
Mémorial des Deux-Sèvres vendredi 11 décembre 1885
Encore un mot sur l’affaire du curé de Pioussay, c’est demain samedi que le tribunal de Melle rendra son jugement dans l’affaire du curé de Pioussay ; nous connaissons la fermeté des juges qui le composent et nous attendons avec confiance une décision qu’inspirera le seul sentiment du devoir , envisagé sans faiblesse comme sans passion.
Mais revenons un peu à l’audience du 5 et examinons les moyens que la défense a produits en faveur de cette infortunée victime des persécutions judiciaires. Au milieu des répétitions de la même pensée sous trois formes différentes ; car les arguments de Me Robinet de Cléry , comme les canards de la chanson, marchent avec disciplines trois par trois, dans ces successions de brusques éclats de voix et de chutes adoucies, presque onctueuses, ah ! le gaillard connaît sa clientèle, nous avons démêlé que l’abbé Granier «avait reçu des centaines de certificats de témoins, certificats plus élogieux les uns que les autres ; qu’on ne les citait pas tous, pour ne pas effaroucher sa modestie.»
Et le spectacle de cet avocat, expédié perpendiculairement de Paris pour les besoins de la cause, insistant sur le chiffre considérable des témoignages, était admirable. Qu’étaient donc, en effet, ces certificats, si ce n’est les propres constatations d’un délit, répété des centaines de fois, assez pour effaroucher la modestie de l’accusé, trop aussi pour ne pas effaroucher le tribunal.
Voilà donc tout ce qu’a pu avouer, pour innocenter son client, un homme qui se disait rompu aux luttes de la parole et que ses amis prétendent versé dans la connaissance du droit. Ah ! si, il dépeignait en même temps un vieux prêtre pauvre , accueillant toutes les misères et n’acceptant , pour ses mauvais soins , aucune rétributions .Qui trompe t-on ici ? Hélas ! ,pas nous, mais ces gens simples de la campagne, confondant l’empirisme avec la science, incapables de soupçonner la fraude sous la robe du ministre de la vérité.
Mais le curé de Pioussay n’est pas seulement un docteur sans diplôme, c’est de plus un homme politique sans mandat : sa chaire est une tribune ; de là haut il censure les actes du gouvernement, il admoneste les autorités locales et inflige de sévères leçons à son maire. M Beguier, comme disait avec finesse Me Robinet, si bien qu’on finissait par croire le nom de Beguier plus ridicule que le nom de Robinet ; est-ce bien certain ?. Puis ayant vainement essayé d’abuser le tribunal, en confondant à dessein les prônes de l’accusé avec les mandements de son évêque, la défense s’est malencontreusement abandonnée à des consultations administratives fantaisistes, lesquelles ont du bien faire rougir les amis de Me Robinet. On a parlé de la régularité de comptes de fabrique sans production de pièces à l’appui, contrairement à l’article 70 de la loi municipale du 5avril 1884 ; de fonds tout naturellement déposés dans l’armoire où le curé place ses archives, alors que le décret du 30 décembre 1809, article 50, exige une caisse ou armoire à trois clefs, etc.. Et Me Robinet de Cléry avançait tout cela avec cette audace imperturbable que le curé de Pioussay apporte à rendre ses ordonnances.
Que reste t-il de ce grand tapage ?, pas grand chose assurément ; un médecin qui est un charlatan, un ministre de paix qui est citoyen factieux ; auquel pourrait s’appliquer l’intérêt ou l’indulgence ?
Ce clergé catholique est bien en France la plus curieuse chose du monde ; on dirait que les lois, comme l’esprit de la société moderne, lui sont tout à fait étrangers :cela peut nous intéresser nous ; lui, cela ne le regarde pas. Il n’y a guère qu'en Espagne que spectacle semblable puisse être rencontrer ; on voit d’ailleurs à quoi elle marche !
Le Mellois, qui aura eu dans sa carrière l’heureuse et inattendue fortune de se voir citer une fois, terminant un article paru sur la cause qui nous occupe, dans son dernier numéro par la réflexion suivante : «Nous avons entendu des membres du barreau de Melle, républicain notoire dire en sortant de l’audience : quelle maladresse ! ils ont voulu tuer un puce à coup de canons, c’est le dernier mot de cette grosse affaire.»
Le coup de canon, messieurs les cléricaux, en se rendant en foule à l’audience, ont peut-être essayé de le tirer ; quand à la puce, ainsi parler est affaire au républicain notoire, il est probable que l’abbé Granier en soit flatté ; pour nous… mon père, souffrez que je me récuse.
Mémorial des Deux-Sèvres mercredi 16 décembre 1885
Tribunal correctionnel de Melle
Voici les principaux motifs et le dispositif du jugement rendu dans l’affaire de M. Granier, curé de Pioussay :
Considérant, quant à la prévention d’exercice illégal de la médecine, qu’elle est établie par les témoins ci-après qui déclarent… (suivent les dépositions de témoins) ;
Considérant, qu’il résulte encore de ces témoignages et de celui de Samson, entrepreneur de voitures publiques à Chef-Boutonne, et des documents fournis par la défense même, que chaque jour il se présente aux consultations du curé Granier un grand nombre de malades qui viennent de divers points de la France.
Que Marie Lavaud a évalué à 200 les malades qui s’y trouvaient lorsqu’elle y est allée.
Que les trois témoins d’Oiron ont affirmé qu’arrivés à Pioussay le soir, à 4 heures, ils ont été obligés, à raison des malades qui restaient encore à passer en consultation, d’attendre au lendemain matin.
Considérant que le prévenu reconnaît cette affluence quotidienne de malades qui se présentent et qu’il reçoit.
Considérant que ce courant est entretenu par les espérances qu’il donne à chacun dans les moyens curatifs qu’il indique.
Considérant qu’on ne peut nier que ces faits si multiples d’exercice illégal de la médecine peuvent avoir les plus graves conséquences.
Que par la suite de la confiance qu’il sait inspirer à ses clients dans ses remèdes, le plus souvent anodins et sans efficacité, beaucoup doivent nécessairement négliger de demander à la science les médications que réclame leur maladie.
Considérant que c’est en vain que pour échapper à une condamnation, le curé Granier conteste à ces faits le caractère d’exercice illégal de la médecine :
1° parce qu’il n’aurait pas ordonné de substances pharmaceutiques avec dosage déterminé, ni demandé des honoraires.
2° parce qu’il n’a fait que ce qui est autorisé par l’avis du conseil d’Etat du 8 vendémiaire an XVI.
Considérant que l’exercice de la médecine est indépendant de la nature des remèdes prescrits et des quotités ordonnées.
Que l’illégalité de cet exercice de la médecine consiste à s’y livrer, sans remplir les conditions voulues par la loi, c’est à dire sans diplôme.
Considérant qu’il importe peu de savoir si l’exercice illégal de la médecine a été gratuit ou salarié ; que le législateur s’étant proposé d’atteindre l’impéritie et non la cupidité, n’a fait aucune distinction à cet égard.
Que l’avis du conseil d’Etat du 8 vendémiaire an XVI autorise les curés à donner aide à leurs paroissiens dans leur maladie, c’est à la condition que cet aide, limitée aux premiers secours, n’ait pas pour effet de substituer leur action à celle du médecin.
Considérant en ce qui concerne la prévention d’avoir, depuis moins de trois ans, au même lieu, dans l’exercice de son ministère, en ses assemblées publiques dans l’église de Pioussay, prononcé à diverses reprises des discours contenant la critique ou censure du gouvernement, d’une loi, d’un décret ou de tout autre acte de l’autorité publique, qu’elle est pleinement justifiée.
Qu’il résulte en effet de l’ensemble des dépositions de témoins, et en partie de l’interrogatoire du prévenu, que principalement dans ses sermons, en octobre et novembre 1884 et février 1885, il a dit en parlant :
1° De la guerre du Tonkin : «Ceux qui sont à la tête du gouvernement sont des charlatans .Ce gouvernement ne tient pas ses promesses ; il avait dit que nous n’aurions plus la guerre , et cependant nous l’avons avec de pauvres sauvages qu’on eut mieux fait de laisser tranquilles au lieu de verser inutilement le sang de nos enfants.»
2° Des impôts : «Nous sommes plus que jamais surchargés d’impôts. Ces messieurs s’engraissent à nos dépens.»
3° Des écoles laïques et du manuel d’instruction civique et morale de Compayré, «On ne veut plus de Dieu dans les écoles ; ce sont des écoles sans Dieu. On met entre les mains des enfants de mauvais livres destinés à les corrompre, des livres qui empoisonnent la jeunesse. L’instruction n’est bien donnée que par les congréganistes».
4° D’un enterrement fait par un pasteur protestant dans le cimetière de Pioussay, de deux enfants morts-nés d’une protestante, «On a mis de la pourriture dans le cimetière, en vertu de quelle loi, d’une de ces lois que machinent les hommes. On ne comprend pas que les autorités aient laissé entrer une telle infection dans ce cimetière ; il a été profané ; il faudra le désinfecter.»
5° D’une délibération du conseil municipal de Pioussay relative au budget de la fabrique et des membres de ce conseil municipal. «Elle contient quinze faux, quinze erreurs, quinze mensonges ; les signataires ont perdu la tête. Deux conseillers ont refusé de la signer : Terrasson, parce qu’il est président du conseil de fabrique, Texier, parce qu’il a de l’esprit.»
6° Des revenus du cimetière. «On nous a pris, volé les revenus du cimetière. Ceux qui l’ont fait sont des voleurs».
Considérant que le prévenu, s’il a dénié, dans son interrogatoire, la plupart de ces propos, il en a reconnu une partie.
Considérant qu’il a vainement essayé de justifier par des explications ceux qu’il a reconnus.
Considérant, en ce qui touche les revenus du cimetière, qu’il déclare que s’il déclare en chaire : «On nous prive du revenu du cimetière qui a toujours appartenu à la fabrique ; j’en suis d’autant plus surpris que notre église n’a aucun revenu et qu’on procéder autrement dans les autres communes.», il a ajouté qu’il reconnaissait toutefois que cette mesure était autorisée par la loi.
Considérant qu’en supposant cette version exacte, la reconnaissance par l’abbé Granier de la légalité de la mesure n’eut pas fait disparaître la critique ; qu’elle ne prouverait qu’une chose : qu’il s’est permis sciemment de critiquer une mesure autorisée par la loi et par la suite la loi elle-même.
Considérant que sa critique de la délibération du conseil municipal n e peut se justifier, comme il l’a prétendu, par l’affichage de cette délibération sur les murs de l’église.
Que cet affichage, fait conformément à la loi et à l’usage , ne pouvait autoriser les critiques du prévenu, surtout dans des termes plus que blessants.
Considérant qu’en tenant les propos rapportés à l’occasion de l’enterrement fait par un ministre protestant, il a sévèrement critiqué et le maire et la loi du 14 novembre 1881 abrogeant le décret du 23 prairial an XII, qui divisait le cimetière en autant de fractions que de cultes, ainsi que celle du 5 avril 1884 sur l’organisation municipale qui, par son article 97 , défend d’établir dans le mode des inhumations dans les cimetières des distinctions ou des prescriptions particulières à raison des croyances ou du culte du défunt, ou des circonstances qui ont accompagné sa mort.
Considérant qu'il a plus que critiqué ces lois, qu’il a même prêché la désobéissance à ces lois en voulant, contrairement à leurs dispositions, maintenir toutes les distinctions autorisées par le décret du 23 prairial an XII, distinctions défendues implicitement par la loi du 14 novembre 1883, et par celle du 5 avril 1884.
Considérant que les autres propos relevés par l’enquête, s’ils ne tombent pas sous l’application de la loi pénale, sont tout au moins blâmables ; que les dépositions des témoins établissent encore qu’au lieu de prêcher la paix et la concorde, le curé Granier existait les citoyens les uns contre les autres.
Considérant qu’il est d’intérêt d’ordre public, on pourrait également dire d’ordre religieux, de mettre, par une juste répression, un terme à de semblable abus.
Considérant que le prévenu est d’autant plus coupable que si des citoyens, ou autres ont l’exemple du respect, de l’autorité, des institutions établies, et de l’obéissance aux lois, ce sont assurément les ministres des cultes.
Par ces motifs, le tribunal, en ce qui concerne les 4 contraventions d’exercice illégal de la médecine, condamne l’abbé Granier à 5 frs d’amende pour chaque contravention ; en ce qui concerne les délits de critiques ou censure contre le gouvernement, les lois, l’autorité publique et les actes de l’autorité , par application de l’article 201 du code pénal et de l’article 463 du même code ; le condamne en 8 jours d’emprisonnement et aux frais.
Le Mellois, 27 et 31 décembre 1889
Le curé de Pioussay
Le curé de Pioussay, son nom ?
– Q’importe ? connu de ses compatriotes il ne fut jamais prononcé de la foule ; on ne connaissait que le curé de Pioussay , et l’on venait de fort loin le consulter, tant ce nom avait, depuis vingt ans, franchi les horizons de notre Poitou.
Né à Blanzay, près de Civray, l’abbé Granier fit de bonnes études, mais rien ne faisait prévoir l’extraordinaire réputation dont il jouirait un jour.
On en connaît la cause, et l’on sait comment il procédait à l’égard de ses visiteurs intéressés. Roulant sa tabatière entre ses doigts, son regard doux et profond semblait lire jusqu’au sanctuaire de votre âme. Cette intuition prodigieuse, peut-être sans égale , n’était point du tout le fruit d’études médicales auxquelles il ne s’est jamais livré dans nos écoles, mais manifestement, un don du ciel qu’il mettait au service de ses frères, riches et pauvres.
Il recevait ces derniers avec une débonnaireté et une sollicitude édifiantes et leur consacrait de longues heures, sans se préoccuper des attelages du riche qui attendait et passait à son tour.
Que de fois, après avoir rassuré le visiteur sur le mal dont il se croyait atteint, il lui révélait une affection morbide plus sérieuse qu’il ne soupçonnait pas !
On raconte à ce sujet des histoires que l’on taxerait de légendaires, tant elles sont étranges, originales.
Le curé de Pioussay peut marcher de pair avec l’abbé Kneipp, qui, par ses écrits, s’est fait une réputation européenne. A notre avis, il lui était bien supérieur : il avait sur lui incontestablement la supériorité du diagnostic et aussi peut-être, celle de la méthode si l’on en juge par les résultats acquis chez les clients de l’un et de l’autre.
Quoiqu’il en soit, ces deux prêtres auront bien mérité de l’humanité souffrante ; ils se sont dévoués, sans compter au soulagement de leurs frères et « leur mémoire sera en honneur ». De taille moyenne, bien découplé, vigoureux, l’abbé Granier devait, il me semble, dépasser de beaucoup les 71 ans qu’il a vécus. Prêtre modeste, jovial, spirituel, de caractère égal, sans une ombre d’ambition, il a passé quarante ans dans son pauvre presbytère, au milieu des bois, heureux du sort que lui avait fait la providence. Dévouésà ses paroissiens, qui étaient justement fiers de leur curé, il repose au milieu d’eux, dans ce champ des morts où lui-même avait conduit plusieurs générations.
Mémorial des Deux-Sèvres du 8 avril 1886
C’est vendredi prochain que la cour d’appel de Poitiers statuera sur l’appel interjeté par le curé de Pioussay, du jugement du tribunal correctionnel de Melle qui le condamne à 8 jours de prison pour critique et censure des actes du gouvernement.
Mémorial des Deux-Sèvres 15 avril 1886
Le curé de Pioussais
Nous avons dit que la cour de Poitiers jugeant en appel avait maintenu le jugement du tribunal de Melle contre M. Granier, curé de Pioussay, mais en faisant au dit curé remise d’une partie de la peine.
Cette révision du jugement prononcé à Melle, qui est par le fait une confirmation du fond sinon de la forme, ne change rien à la situation et ne paraît pas avoir fait sur notre curé-guérisseur cette impression salutaire que l’on est convenu d’appeler une correction.
En effet, M. le curé de Pioussay continue de plus belle, non point à guérir, - il n’a jamais guéri que les gens qui se sont guéris eux-mêmes, - mais à soigner les malades « gratis » c’est à dire pour la plus grande gloire de Dieu et le plus grand avantage de son église, y compris le curé de Pioussay.
Cette persistance dans la récidive produirait, nous dit-on, un véritable scandale chez les âmes simples mais profondément honnêtes de la commune.
Que M. le curé Granier n’ait point pour le gouvernement de la république le respect que l’on doit à un père nourricier, on se l’expliquerait encore, l’ingratitude étant passée à l’état de vertu chez les hommes d’église, lorsque cette injustice s’exerce au détriment d’un gouvernement qui repose sur la liberté ; mais que le curé de Pioussais se !!! moque à ce point de la loi et qu’il affecte de faire précisément ce qui lui est interdit, c’est ce que l’on ne saurait admettre à Pioussay.
Il résulte que le prêtre n’étant pas respecté, et ce par sa faute, et parce que dans l’espèce il ne se soucie point d’être respectable, la religion est méprisée.
Et si M. l’évêque de Poitiers qui a déjà sur les bras une grosse affaire par le fait de son secrétaire-trésorier, ne veut pas que les chrétiens de Pioussay se soulèvent, je parle d’un soulèvement moral contre l'église, et renient leur foi, il n’a qu’une chose à faire et le plutôt sera le mieux. Qu’il déplace M. Granier et en débarrasse la paroisse de Pioussay. A bon entendeur, salut.
A Paris aussi on en causait...
La Lanterne Paris, 12 mai 1885
Le clergé national
Niort, 10 mai.
M. le curé de Pioussais est poursuivi pour Médecine illégale.
Des poursuites sont également dirigées cotre ce curé guérisseur pour avoir censuré en chaire les actes administratifs.
La Lanterne Paris, 19 novembre 1885
Le curé de Pioussay.
Vendredi prochain, 20 courant, comparaîtra devant le tribunal correctionnel de Melle le curé de Pioussay, canton de Chef-Boutonne, poursuivi pour exercice illégal de la médecine et critiques et censures des actes du gouvernement et de l'autorité publique.
La Lanterne Paris, 20 décembre 1885
MÉDECHE ORTHODOXE
Ainsi que nous l'a annoncé une dépêche du 13 décembre, le curé de Pioussay a-été condamné, par le tribunal correctionnel de Melle, à 20 francs d'amende pour exercice illégal de la médecine, et à huit jours de prison pour insultes au gouvernement ; en sus, cet excellent-bon curé aura à solder les frais de la guerre (je ne parle pas de l'énergique et spirituel député dont la parole est toujours au service des persécutés de la justice, M. le curé de Melle n'est point de cette catégorie) et par les frais de la guerre, j'entends les débours du procès.
Il était assez cocasse, ce procès, et ce n'est pas du radotage que de le rappeler par ce temps de rebouteux, d'empiriques et de marchands d'onguents miton-mitaine.
Si je commençais par dire que le président du tribunal, qui a jugé à Mele, s'appelait Grassot, on croirait que je réédite un vaudeville de vieux Palais-Royal. Il n'y a qu'une différence, c'est que ce magistrat est grave et intègre, et qu'il orthographie son nom par une syllabe que son homonyme ne mettait jamais dans son punch.
Du reste, ce ne sont point les juges qui se sont montrés drôles en ce procès, mais bien les témoins tous reboutés, tant mal que bien, par le prévenu ensoutanné.
Et le clérical Robinet de Cléry « l'un des plus brillants cierges du barreau » ainsi que l'appellent les implacables sceptiques du Palais, ses confrères, est venu répandre sur l'assistance ses lumières onctueuses.
Écoutons les témoins. L'un, Larue, atteint d'une gastrite a, sur l'ordonnance du curé de Pioussay, mangé de 4 heures en 4 heures, il a bu du bouillon et s'est lavé le ventre avec de l'eau tiède. Moi, je tiendrais bien boutique de semblables médicaments, si l'on voulait.
La jeune Moineau atteinte d'une forte coqueluche, a dû prendre, se conformant à la consultation du curé-docteur, de l'huile d'amande douce. Quant au témoin Alexandre Gaudin, questionné sur l'état de sa cave et sur celui de sa santé, il a répondu que la première était excellente et la seconde déplorable, aussi, le curé l'a-t-il engagé à rétablir l'une par l'autre. Et, je n'ai pas de peine à croire qu'il se soit bien trouvé d'un tel régime.
Parmi les clients de cet exquis docteur sans diplôme, on en a entendu à la barre, qui ont déclaré, n'ayant jamais été malade, avoir consulté tout de même.
Le truc du curé de Pioussay était, on le voit, un bon truc et un truc à la portée de tout le monde.
Dans les « maux blancs », M. Granier, c'est le nom de notre spécialiste, dont la spécialité est de n'en avoir pas, puisqu'il guérit tout le monde, même les mieux portants, dans les « maux blancs », il se borne à recommander d'employer l'onguent de la mère, ce qui a fait lâcher ce jet de forte pression à Me Robinet de Cléry : « Et tous les flots de l'onguent de la mère n'effaceraient pas la flétrissure que l'on vous demande, messieurs, d'infliger à ce juste et humanitaire pasteur. »
Dans l'intérêt des familles l'abbé Granier ordonnait le grand air, l'exercice aux vieillards que les médecins calfeutraient hermétiquement chez eux. Le père de Mme Mélanie Rousselot s'en est si bien trouvé qu'il en est mort tout net et sans phrases.
La propagande par le grand air et par l'onguent de la mère ne pouvait suffire au curé de Pioussay.
Qui. dit curé, dit cure, qui dit médecine dit cure également ; il n'y avait qu'une chose dont n'avait cure l'abbé Garnier, c'était de se borner au traitement des maladies corporelles, secrètes ou non.
Si l'abbé donnait des injections au corps, ça ne l'empêchait pas d'administrer à l'âme des lavements spirituels et il poussait la science infuse si loin qu'à la politique même il appliquait des sinapismes, qui pour être réactionnaires n'en étaient pas plus rigolos.
« Les livres, disait-il en chaire, à propos de la loi sur l'instruction publique, les livres qu'on introduit dans les écoles profanent et empoisonnent l'âme des enfants. »
Il ajoutait, sur le rendement des impôts : « On m'a enlevé les revenus du cimetière ; où s'arrêtera-t-on? Les quinze conseillers municipaux de Pioussay, ils ont commis quinze faux dans une délibération. Ce sont des ignorants. Il n'y en a que deux qui vaillent quelque chose : Terrasson, parce qu'il est président du conseil de fabrique, Texier, parce que c'est un homme d'esprit. »
Enfin, s'il a reçu de l'argent, l'abbé Granier, ce n'est que comme intermédiaire. Les «roues de derrière » qu'on a glissées sous son chandelier étaient destinées à de bonnes œuvres.
C'est ce qu'il a dit et ce qu'à répété au tribunal Me Robinet de Cléry. cal.
- Quelques personnes ont laissé de l'argent sur l'autel de la sainte vierge (drôle de caisse!), mais M. le curé n'en profitait pas.
C'est égal, le rebouteux-curé-orateur de Pioussay. s'en tire à peu de frais.
Vingt francs d'amende ! Une seule consultation à la première pénitente venue qui lui confiera ses peines de corps bouchera la brèche. Amen !
La Lanterne Paris, 4 avril 1886
TRIBUNAUX
COUR D'APPEL DE POITIERS
Le curé de Pioussay
Pioussay est une petite commune du département, mais si le nombre do ses habitants est peu élevé, elle a du moins la compensation d'avoir Un curé qui fait parler de lui.
Cet ecclésiastique, ainsi qu'il résulte des pièces de la procédure, charme ses loisirs en exerçant la médecine, sans s'être au préalable muni d'un diplôme, et comme les nombreuses occupations de cette nouvelle et lucrative industrie ne suffisent pas à satisfaire son ambition, il censure et critique en chaire les actes du gouvernement, les délibérations du conseil municipal et les arrêtés du maire de la commune.
Pour tous ces faits, le provenu avait été traduit en police correctionnelle,et le tribunal de Melle, sans égard heureusement pour sa robe de prêtre, l'avait condamné, par son jugement du 12 décembre dernier, à 4 amendes de 5 francs pour exercice illégale de la médecine et à 8 jours de prison pour critique et censure des actes du gouvernement et de l'administration.
La douleur des fidèles de Pioussay était à peine comparable à ces naïfs d'il y a peu de temps qui versaient des larmes sur le malheureux sort du pape, et qui parlaient, avec une conviction qu'il est inutile de qualifier, de la paille humide de son cachot. On n'a pas idée, en effet, d'une pareille abomination ! Un prêtre traité comme un vulgaire charlatan, jamais de la vie.
On interjeta appel et les deux audiences de vendredi et samedi dernier ont été tout entières consacrées à l'examen de cette affaire.
Le rapport et la lecture des pièces du dossier n'ont pas demandé moins de trois heures. M. le président Poulie a exposé les faits avec une netteté et une précision remarquables.
Quant au curé, pendant son interrogatoire, il s'est contenté, avec cette bonne foi qui caractérise les gens de son espèce, de nier d'un bout à l'autre, malgré les témoignages écrasants de l'enquête, et quand sur certains points il est obligé bien malgré lui de reconnaître la vérité, il proclame hautement qu'il considérait que c'était son droit d'agir ainsi.
C'est ainsi par exemple qu'il est obligé d'avouer qu'en parlant de l'inhumation de deux enfants morts-nés dont la mère appartenait au culte protestant, qu'il a dit « qu'on avait mis de la pourriture dans le cimetière, qu'on avait violé et profané ce lieu et qu'il ne comprenait pas que le maire avait autorisé de pareils faits ».
Ou une antre fois, parlant d'une délibération du conseil municipal rétablissant à leur valeur les comptes de la fabrique, il avait encore dit en chaire « que cette délibération contenait quinze faux, quinze mensonges, et qu'il en aurait pour quinze dimanches à le démontrer ».
Il serait trop long d'entrer dans tous les détails de cette affaire. Le reste est à l'avenant.
L'avocat du prévenu. M. Dufour d'Astafort a, dans une longue plaidoirie, essayé de faire ressortir la bonne foi de son client, Ca prétendant qu'au lieu d'exercer la médecine, il se contentait de donner de simples conseils d'hygiène, et que, quant aux propos subversifs qu'on lui reproche, ne sont qu'un tissu de mensonges imaginés par ses ennemis. En conséquence, il demande l'acquittement du curé.
Mais, tel n'est pas l'avis de l'avocat général Ghanvin, qui occupe le siège du ministère public, et qui démolit tout l'échafaudage établi à grand-peine par la défense et fait ressortir nettement que le curé est coupable des délits qui lui sont reprochés.
Après une courte réplique de Me Dufour d'Astafort, la cour met l'affaire en délibéré pour rendre son arrêt à huitaine.
La Lanterne Paris, 20 avril 1886
Le curé de Pioussay
La cour d'appel de Poitiers vient de rendre son arrêt dans l'affaire du curé de Pioussav.
En ce qui concerne les faits d'exercice illégal de la médecine, la cour a confirmé purement et simplement le jugement du tribunal correctionnel de Melle.
En ce qui touche les délits de critique ou censure envers le gouvernement, la cour a réduit la peine de huit jours d'emprisonnement, prononcée par les premiers juges, en celle de 16 fr. d'amende, et a condamné l'abbé Granier aux dépens.
La Lanterne Paris, 22 juillet 1886
Une bonne mesure
Par décision de M. le ministre de l'instruction publique, des beaux-arts et des cultes en date du 28 juin 1886, M. Garnier, desservant de Pioussais, a été privé de son traitement à partir du 15 juillet.
Le curé de Pioussais était dernièrement poursuivi devant lès tribunaux pour avoir censuré en chaire le gouvernement et avoir exercé illégalement la médecine.
La Lanterne Paris, 20 avril 1890
Deux-Sèvres
Pioussais, 18 avril. - Le sieur Boux, propriétaire à Pioussais se levait, l'autre matin, lorsqu'un coup de revolver éclatait dans sa chambre. Terrifié, il prit la fuite, suivi par son agresseur qui tira un second coup de feu, mais sans l'atteindre heureusement.
Les soupçons du sieur Boux se sont portés sur un hongreur de Melleran, qui, une heure avant l'attentat, serait entré chez lui pour acheter sa jument.
Cet individu a été arrêté et conduit à la maison d'arrêt de Melle.