René Rolland de Martel le marin
René Rolland de Martel est
né le 18 mars 1714 à Rochefort, paroisse Saint Louis, fils de Pierre Martel, écuyer, enseigne de vaisseau et de Marie Elisabeth Grelier. Son parrain est Michel Rolland Barrin de la Galissonnière.
Il est nommé garde marine (1) à Rochefort le 24 avril 1730, son certificat est enregistré au contrôle du port le 8 mai 1730. Ses recommandations sont « fils de lieutenant de vaisseau et neveu de deux commandeurs ». Il s’agit de deux frères de son père, Antoine de Martel, commandeur de Loudun et René de Martel, commandeur de Nantes (2)
- En 1730, il effectue son premier séjour à la mer d’une durée de 7 mois pour l’Île Royale (3) sur le Dromadaire commandé par M. de Tilly, lieutenant de vaisseau.
- En 1731, il effectue son deuxième séjour à la mer d’une durée de 9 mois pour le Mississipi et la Louisiane (4) sur la Gironde commandée par M. de Foran, lieutenant de vaisseau et reste 3 mois à Rochefort.
- En 1732, il effectue son troisième séjour d’une durée de 11 mois pour le Québec (4) sur le Rubis commandé par M. Letanduère, capitaine de vaisseau et reste un mois à Rochefort.
- En 1733 et 1734, il reste à Rochefort. Il mesure 5 pieds et 4 pouces, il est noté comme « un sage sujet, s’appliquant beaucoup, sachant la navigation et la manœuvre, dessinant passablement »
Il est nommé sous brigadier le 1er avril 1734 et brigadier (5) le 18 juillet 1735.
- En 1735, il effectue son quatrième séjour à la mer d’une durée de 9 mois pour le Québec sur le Héros commandé par M. de Foran et reste 3 mois à Rochefort.
- En 1736, il reste à Rochefort. Il est noté comme ayant de « bonnes mœurs, se conduit bien, s’applique à faire tout ce qui concerne le métier, est passablement géomètre, dessine joliment ».
- En 1737, il effectue son cinquième séjour en mer d’une durée de 9 mois pour l’Ile Royale sur le Héros commandé par M. de la Galissonnière reste 3 mois à Rochefort.
- En 1738, il passe 10 mois à Rochefort, il est nommé enseigne de vaisseau le 1er avril 1738,
il se marie le 17 juin 1738 et il embarque fin octobre début novembre pour son sixième séjour à la mer d’une durée de 8 mois pour Cayenne et la Martinique sur la Gironde commandée par M. de Fontaine.
- En 1739, il termine son séjour sur la Gironde et reste 6 mois à Rochefort.
- En 1740, après 3 mois à Rochefort, il embarque pour 9 mois d’abord sur le Juste commandé par M. Letanduère pour passer à Brest puis sur le Mercure commandé également par M. Letanduère pour la Martinique et Saint Domingue (4). Il essuie un ouragan et un combat, il reçoit 5 blessures.
- En 1741, il termine son séjour sur le Mercure et reste à Rochefort.
- En 1742 et 1743, il reste à Rochefort.
- En 1744 après un mois à Rochefort, il embarque pour Toulon (ou à Toulon ?) sur le Toulouse commandé par M. Dastour, puis sur l’Espérance commandée par M. de Cayleux de Malte à Tunis, Malaga, Cadix, les îles Canaries, la Martinique et Saint Domingue puis desarmée à Brest. Il est embarqué pendant 11 mois en 1744 et l’année 1745 complète, d’abord sur L’Espérance puis sur l’Atalante.
Il est nommé lieutenant de vaisseau le 1er janvier 1746.
- En 1746, il est commandant en second sur la Gloire commandée par M. le Marquis des Gouttes, capitaine des vaisseaux du roi pour 8 mois à la Martinique et Saint Domingue, il reste 4 mois à Rochefort.
- En 1747, il effectue son douzième séjour à la mer d’une durée de 5 mois sur le Tonnant, commandé par M. de Letanduère qui commandait une escadre pour escorter une flotte, il participe à des combats. Il reste 7 mois à Rochefort.
- En 1748, il commande pendant 6 mois la frégate du roi le Rowert pour effectuer une mission de garde côtes, « a été aussi en Espagne pour y prendre les effets de deux frégates qui s’y étaient brûlées ». Il passe 6 mois à Rochefort.
Le 1er avril 1748, il est nommé chevalier de Saint Louis. - de 1749 à 1753, il reste à Rochefort. Le 4 février 1753, il obtient un congé de 3 mois du département de Rochefort.
- En 1754, il effectue son quatorzième séjour à la mer pour une durée de 7 mois pour l’Ile Royale sur l’Aigle commandé par M. Daubigny. Il reste à Rochefort et
le 15 novembre 1754, il obtient son ordre de retraite du département de Rochefort avec une pension de 1000 livres.
- Le 18 décembre 1755 (date non cohérente avec la suite), il reçoit « ordre de revenir de 3 mois ».
- En 1755 « sur l’Eveillé commandé par M. de Fontaine, passé à Brest et être joint à l’escadre commandée par M. de Mainemurs qui était de 27 vaisseaux en partance de ce port. La division de cet officier général était de 9 vaisseaux qui ont servi d’escorte aux 18 autres jusqu’au-delà des caps. Ensuite, ils sont rentrés à Brest et en sont ressortis sous les ordres de M. le Comte de Guiry pour croiser et protéger le commerce ».
- En 1756, il passe au Havre en avril 1756 où il reste 5 mois. Il est nommé capitaine de vaisseau le 15 mai 1756. Le 3 août 1756, il reçoit l’ordre de retourner à son département de Rochefort, «
lettre pour faire passer M. de Martel, capitaine de vaisseau, du port du Havre à celui de Rochefort pour y commander la frégate la Valeur ». Il commande la Valeur (6) et effectue une mission de garde côtes pendant 4 mois.
- En 1757, il passe 10 mois à Rochefort.
- En 1758, il commande le Belliqueux (7), part le 9 avril pour le Canada « s’est laissé prendre par les anglais sans tirer un coup de fusil, prisonnier le 8 novembre ».
Après la prise de Louisbourg dans le golfe du Saint Laurent par les anglais, la division française commandée par le capitaine Duchaffault de Besné décide de rentrer en France, elle quitte la rade de Québec le 18 septembre 1758. Cette division comprend 5 vaisseaux:
- le Dragon, commandé par le capitaine Duchaffault,
- le Belliqueux, commandé par le capitaine de Martel,
- le Sphinx, commandé par le capitaine de Vendes Turgot,
- le Hardi, commandé par le capitaine Levassor de Latouche,
- le Brillant, commandé par le capitaine de Saint Médard,
ainsi que les frégates Zéphyr et Rhinocéros.
Approchant des côtes françaises, en raison de forts courants marins et de la violence du vent, la division est déportée vers les côtes de l'Angleterre, à l'ouvert du canal de Bristol. La suite est racontée par Onésime Troude dans son ouvrage
Batailles Navales de la France (Tome 1 page 354):
"le 27 octobre... pendant que les bâtiments anglais s’élevaient au vent pour se rapprocher des français, ceux-ci conservant leur seules basses voiles, se formèrent en bataille… dans l’ordre suivant : le Dragon, le Belliqueux, le Brillant, le Sphinx et le Hardi. » Une première escarmouche sans gravité eut lieu, mais le Dragon cassa sa barre de gouvernail et fut séparé de la division alors que celle-ci était commandée par le capitaine Duchaffault de Besné sur le Dragon. «
Le 28, la division française fut chassée par 6 vaisseaux anglais. Le capitaine Martel du vaisseau Belliqueux qui, par la suite de la séparation du Dragon se trouvait investi du commandement en chef, fit prendre chasse au sud-est. Mais le Belliqueux ayant démâté de son petit mat de hune, il signala bientôt liberté de manœuvre et gouverna à l’est, quart sud-est. …Le Belliqueux perdit les chasseurs de vue à l’entrée de la nuit, il avait déjà aperçu une terre qu’on savait être celle d’Angleterre, et quoique le capitaine Martel ne sut trop sur quelle partie il se trouvait, il laissa tomber l’ancre dès que le fond le lui permit. Deux vaisseaux qui parurent au large le firent appareiller le lendemain, mais la violence du vent qui soufflait toujours du sud-ouest l’obligea à mouiller de nouveau près de l’Ile Lundy, à l’entrée du canal de Bristol. Le 30, le Belliqueux cassa ses câbles et entra plus avant dans le canal ; son capitaine fit mouiller la dernière ancre qui lui restât. La position était fort délicate, le mauvais temps le retenait en pays ennemi et son vaisseau n’avait plus que cinq jours de vivres. Sachant que pendant la guerre précédente, une frégate anglaise dans une situation analogue était allée demander des secours, le capitaine Martel se décida à entrer dans Bristol. Le 2 novembre au matin, alors qu’il était en route pour ce port, il aperçut le vaisseau anglais de 50 canons Antelope, capitaine Thomas Saumarez, vers lequel il se dirigea avec pavillon de parlementaire. L’Antelope lui tira trois coups de canon auxquels il ne répondit pas et un officier anglais se rendit à son bord. Le capitaine Martel lui exposa sa situation et lui fit connaître son intention d’entrer dans le port de Bristol. Il ne laissa pas ignorer à l’officier anglais qu’il ne comptait pas amener son pavillon et que, si forcé par les circonstances, il entrait dans un port ennemi, il s’en rapportait à la loyauté britannique pour obtenir l’entière liberté de ses mouvements. Le capitaine fit répondre qu’il ne mettait pas en doute que son gouvernement ne prît en considération la position particulière dans laquelle se trouvait le Belliqueux ; mais en attendant, il demanda quelques otages; on lui en donna quatre; un lieutenant anglais passa aussi sur le vaisseau français. Le capitaine Martel, ayant plus tard, été lui-même invité à se rendre à bord de l’Antelope, y fut retenu prisonnier, et le pavillon et la flamme de la Grande-Gretagne furent alors arborés à bord du Belliqueux au-dessus des couleurs de la France ; l’équipage entier du vaisseau fut déclaré prisonnier.»
Durant sa captivité, le capitaine de Martel a écrit deux lettres au ministre français de la marine, l'une de Bristol le 8 novembre 1758, l'autre de Chippenham le 21 avril 1759 ainsi qu'une lettre à l'amirauté de Londres, mais il n'a pas obtenu gain de cause. Ces lettres figurent dans l'ouvrage de Théodore Ortolan "Règles internationales et diplomatie de la mer" Volume 2 Annexe G. L'existence et le contenu de ces lettres ont été communiqués par Lucie Delarosbil, québécoise, dont l'ancêtre Bertrand Darospide, originaire de Bidart au Pays Basque, devait faire partie de l'équipage du Belliqueux lors de sa capture par les Anglais.? Des informations complémentaires concernant l'affaire du Belliqueux sont disponibles sur le site Gen&O : Généalogie et Origines en Pyrenées Atlantiques (http://www.geneoweb.org/Du-Belliqueux-au-Bonnaventure-un) ainsi que sur son blog "Fouilles trouvailles" (http://luludel.over-blog.com/article-du-belliqueux-au-bonnaventure-119247132.html)"
Voici le contenu de ces lettres : 1. M. Martel, commandant le vaisseau le Belliqueux, rend compte, au ministre de la marine, des malheureux événements qu'il a essuyés pendant sa campagne. A Bristol, le 8 novembre I758.
Monseigneur
C'est avec la peine la plus vive que j'ai l'honneur de vous informer de la fin malheureuse de ma campagne; vous jugerez par le journal ci-joint qu'il n'est pas possible d'être traversé par des événements plus fréquents et plus fâcheux.
Le 27 octobre, nous faisant à l'ouvert de la Manche, nous y découvrîmes à quatre heures du soir une escadre anglaise de onze voiles, dont sept ensemble, sur lesquelles nous courûmes et que nous combattîmes en nous croisant, les vents étant S.-S.-O. gros frais; nous mîmes sur le même bord qu'eux, mais les ayant perdus de vue à la nuit, M. Duchafault nous fit signal de revirer, ce que nous exécutâmes en prenant les armures à bâbord; dans la nuit les vents forçant encore plus, nous mîmes à la cape; le lendemain matin vingt-huit, nous nous ralliâmes au Sphinx, au Hardi et au Brillant, en présence de six vaisseaux de guerre anglais qui arrivèrent sur nous, les vents étant alors S. 0. Nous nous mîmes en lignes et forçâmes de voile sur deux vaisseaux qui étaient sous le vent à nous, dans l'espérance que ce pourrait être le Dragon et la prise que nous avions faite, mais nous les reconnûmes pour ennemis; nous continuâmes à forcer de voiles portant au Sud-Est et Sud Est quart d'Est, les vents étant S.-O. et S.-S.-O. A une heure après midi nous démâtâmes de notre petit mât d'hune et de notre mât de grand perroquet; alors voyant les ennemis très supérieurs, distinguant dans le nombre deux vaisseaux à trois ponts, nous fîmes signal de sauve qui peut aux trois vaisseaux qui étaient avec nous et nous arrivâmes à l'Est et à l'Est quart Sud-Est, afin de tirer meilleur parti du reste de notre voilure et de pouvoir attraper la côte de Bretagne. Nous étions toujours poursuivis par deux vaisseaux à trois ponts, les quatre autres continuant à chasser les trois nôtres. A l'entrée de la nuit nous fîmes fausse route et portâmes au Sud-Est quart d'Est, et après au Sud-Est, jusqu'à neuf heures du soir, qu'apercevant la terre devant nous et ne pouvant la reconnaître, nous y mouillâmes par trente brasses fond de roches. A six heures du matin, vingt-neuf, ayant aperçu deux vaisseaux que nous avons jugés être les mêmes qui nous avaient chassé la veille,nous coupâmes les câbles et appareillâmes en prolongeant la côte courant à l'Est-Sud-Est jusqu'au jour, que, l'ayant rapprochée, nous avons cru reconnaître le cap la Hogue; nous avons continué à la suivre dans l'intention d'aller chercher le mouillage du Havre, les vents au S.-O. gros frais, renforçant de plus en plus. A peu près dans ce même temps nous avons perdu de vue ces deux vaisseaux. En rapprochant de terre, nous avons fait venir à notre bord un bateau pêcheur qui s'est trouvé anglais et qui nous a dit que nous étions dans la Manche de Bristol : nous ne pouvons attribuer qu'à la violence des courants cette erreur dans notre point. Les vents continuant toujours au S.-O. très forcés et brumeux, extrêmement désemparés, hors d'état de regréer notre petit mât d'hune, nos traversins et coussins étant brisés, nos barres de misaine fracassées ainsi que notre hune, hors d'état par conséquent de tenir le plus près, nous nous sommes rassemblés et avons décidé d'aller mouiller sous l'île de Londy où le pilote anglais nous a dit qu'il y avait un très bon mouillage; c'est la seule ressource que nous avons trouvée pour réparer notre désordre, nous regréer tellement quellement et attendre des vents qui pussent nous permettre de faire route pour le premier port de France. Nous avons employé le 30 et le 31 à nous regréer, ce que nous avons exécuté très heureusement. Le premier de novembre nous trouvant prêts à partir, nous attendions avec impatience des vents favorables, lorsque vers les trois heures du soir les vents forçant toujours au S.-O. et S.-S.-0. notre câble a cassé ; alors les courants nous entraînant avec une extrême rapidité sur des bancs de sable et de roches, étant trop près de ces dangers pour pouvoir mouiller la seule grosse ancre qui nous restait étalinguée, nous avons été obligés de faire servir et de nous enfoncer plus avant dans cette manche. Dans la nuit, nous avons capéyé (1) à l'artimon sur différents bords jusqu'à une heure et demie que le vent ayant calmé et le courant nous entraînant sur les roches, nous n'avons eu d'autre ressource que de mouiller quoique en pleine côte et dans un très mauvais fond. Le lendemain, 2 novembre, nous trouvant à 8 lieues de Londy, les vents forçant et continuant à être contraires, nous sommes descendus dans les soutes pour examiner la quantité de vivres qui nous restait à bord, et trouvant que nous n'en avions plus que pour environ cinq jours, conformément au procès-verbal que nous joignons ici, nous avons tenu conseil pour délibérer sur le parti que nous avions à prendre, et tout mûrement réfléchi et examiné, nous avons jugé que cette quantité n'était pas suffisante pour sortir de cette manche et pour regagner quelqu'un de nos ports; que la seule ressource qui nous restait était d'aller à Bristol demander des vivres. Nous n'avons point douté que l'on ne nous y en fournît, ayant par devers nous l'exemple d'une frégate anglaise qui vint mouiller la guerre dernière dans la rade de Brest, à qui l'on fit fournir tout ce qu'elle demanda et qu'on laissa suivre sa destination. Nous appareillâmes incontinent pour Bristol; vers les neuf heures du matin, nous aperçûmes un bâtiment que nos pilotes anglais reconnurent pour un vaisseau de 50 canons, nommé l'Antelope; quand il fut à portée de nous reconnaître, nous mîmes pavillon blanc à poupe et pavillon parlementaire en avant. Quand nous eûmes laissé notre pavillon blanc assez de temps pour pouvoir être aperçus, nous l'amenâmes et ne gardâmes que le parlementaire. Ce vaisseau tenait le vent pour venir à notre rencontre et nous allions vent arrière sur lui; quand nous l'eûmes passé, il revira de bord et vint se mettre dans nos eaux; alors il nous tira un coup de canon et dans le même instant deux autres. Jugeant que ce vaisseau voulait nous parler nous mîmes en travers et l'attendîmes; il envoya à notre bord son premier lieutenant à qui nous dîmes que le manque de vivres était la seule raison qui nous amenait à Bristol; nous lui citâmes l'exemple de la frégate anglaise qui était venue à Brest; il nous répondit qu'il savait parfaitement notre situation, qu'il ignorait si l'on nous donnerait des vivres, mais que l'amirauté seule pouvait juger de ce cas-là; il nous demanda ensuite quelques officiers pour otages, je lui en envoyai quatre; nous continuâmes notre route ensemble; le capitaine m'ayant fait prier le soir de passer à son bord, j'y fus pour tâcher de prendre avec lui quelques arrangements. Je fus extrêmement surpris lorsque je vis qu'il me retenait à son bord, et encore plus lorsque, le lendemain que nous mouillâmes dans la rade royale, il fit mettre le pavillon et la flamme blanche sous le pavillon et la flamme anglaise : il fit dans ce temps-là passer le reste de mes officiers à son bord, et dans la nuit il envoya mon équipage en prison à Bristol. Ce procédé, auquel je ne me serais jamais attendu, me surprit infiniment. Dans cette fâcheuse circonstance, je pris le parti le 5 d'écrire à l'amirauté de Londres; je ne pus le faire plus tôt, M. de Sommares, capitaine de l'Antelope, n'ayant pas voulu me laisser descendre à terre avant ce jour-là. Les commissaires voulurent hier nous faire signer les passeports pour nous envoyer prisonniers à Chippenham, mais nous refusâmes de le faire jusqu'à ce que nous eussions eu réponse de l'amirauté de Londres. Voilà, Monseigneur, les tristes événements dont je suis obligé de vous rendre compte; je pourrais y joindre quatre-vingts malades que j'ai eus sur les cadres sans avoir de rafraîchissements ni de remèdes à leur donner. J'aurai l'honneur de vous informer exactement de tout ce qui se passera.
Je suis avec un très profond respect, etc... MARTEL.
(1) Capeyer : terme de marine ancien, variante de capéer : tenir la cape
2. Copie de la lettre écrite par M. Martel à l'amirauté de Londres,
MESSEIGNEURS,
Dans la situation la plus affreuse, manquant totalement de vivres, affalé sur vos côtes par des vents forcés et contraires, je n'ai point balancé à venir dans vos ports vous y demander des secours qui me sont absolument nécessaires pour remettre en mer; j'ai cru y être autorisé, Messeigneurs, par l'exemple d'une de vos frégates qui se trouvant la guerre dernière dans une position pareille à la mienne, vint mouiller dans la rade de Brest, à qui l'on fit fournir généralement tout ce dont elle pouvait avoir besoin et qu'on laissa suivre sa destination sans aucun obstacle. Vous devez penser, Messeigneurs, que la réception différente qu'on m'a faite ici, me traitant comme prisonnier, n'a pas eu peu lieu de me surprendre. J'ose me flatter cependant que telle n'est pas votre intention, que vous voudrez bien ordonner que mon vaisseau me soit rendu, et que l'on me fournisse les vivres qui me sont nécessaires pour accomplir ma mission. La générosité dont se pique la nation anglaise qui ne voudrait pas se laisser surpasser en beaux procédés, m’est un sûr garant que vous m’accorderez ma demande.
J’ai l’honneur, etc. MARTEL.
Note : Cette lettre n’est pas datée, mais dans la lettre précédente adressée au ministre de la marine, le capitaine Martel précise qu’elle a été écrite le 5 novembre 1758
3. Copie de la lettre écrite par M. Martel au ministre de la marine,
Le commandant Martel au ministre de la marine
MONSEIGNEUR,
Je m'aperçois par le silence que vous me gardez que mes malheurs ne sont point encore finis, et que vous condamnez avec toute la sévérité possible les manœuvres que j'ai faites avant de venir en Angleterre.
J'ose vous assurer, Monseigneur, que ce n'est qu'à la dernière extrémité et par les sollicitations réitérées et pressantes qui m'ont été faites, que je m'y suis déterminé. En prenant ce parti, je dis dans la chambre du conseil : Si ce que j'entreprends ne réussit pas, il peut m'en coûter cher; on me répliqua que je ne devais point craindre et que je devais espérer d'avoir le même sort en Angleterre que la frégate anglaise avait eu en France la guerre dernière; nous appareillâmes donc pour Bristol; une heure après être sous voiles, nous aperçûmes l'Antelope qui courait de petits bords pour venir à nous. J'entrai dans la chambre du conseil où il y avait plusieurs officiers, je leur dis : Si ce vaisseau tire sur nous, lui riposterons-nous? On me répondit qu'en le combattant c'était absolument se désister du projet d'avoir les secours indispensables dont nous avions besoin ; je fus malheureusement de cet avis, et je le suivis; lorsque j'eus joint ce vaisseau, il me tira de fort loin trois coups de canon auxquels je ne répondis point; je mis en travers pour l'attendre; il m'envoya son premier lieutenant à qui je déduisis les raisons qui m'amenaient dans leurs rades; il me répondit ce que j'ai eu l'honneur de vous mander, Monseigneur, dans les différentes relations que je vous ai envoyées. Cet officier ne m'ôta point l'espoir d'avoir du secours, il me dit au contraire qu'il ne doutait pas qu'on n'eût pour moi les mêmes égards qu'on avait eus en France pour leur frégate; il me pria de la part de son capitaine d'aller à bord de l'Antelope, je lui dis que je ne pouvais y aller que lorsque nous aurions attrapé le mouillage; et, en effet, j'y fus comme je lui avais promis, comptant obtenir plus facilement par moi-même tout ce dont j'avais besoin. Je crus en cela ne point déroger à l'ordonnance du roi, étant enfoncé plus de quinze lieues dans un golfe dont toutes les issues nous étaient inconnues, au point qu'il nous eût été impossible d'en sortir sans avoir un pratique du pays. Le refus que M. de Sommares me fit de me laisser retournera mon bord, me fit apercevoir du tort que j'avais eu de venir au sien, et me fit repentir de ne l'avoir pas combattu. Le Belliqueux n'en aurait pas moins été au pouvoir des Anglais quand j'aurais écrasé ce vaisseau, n'étant qu'à trois quarts de lieue d'une terre sur laquelle il se serait jeté et brûlé s'il y avait été forcé, sans qu'il m'eût été possible de profiter d'aucun des vivres qu'il avait dans son vaisseau. Je vous prie, Monseigneur, d'être bien persuadé que je n'aurais pas hésité à le combattre si j'avais cru être traité da la sorte; on m'avait assuré avec tant de vraisemblance l'aventure de cette frégate que je ne pus m'empêcher d'y ajouter foi: je ne pouvais le savoir par moi-même étant alors armé à Toulon dans l'escadre de M. de Court. Je me suis trouvé dans maints combats, nommément dans le Mercure et le Tonnant, commandés par M. de Létanduere où je crois avoir fait tout ce que l'on peut attendre d'un officier qui ne craint pas le feu; il serait bien douloureux pour moi, Monseigneur, si vous me soupçonniez du contraire vis-à-vis de l'Antilope dont les forces étaient bien inférieures à celles du Belliqueux, Revenez donc, je vous prie, Monseigneur, du préjugé désavantageux que vous avez conçu contre moi, et soyez bien persuadé que Sa Majesté n'a point de sujet plus zélé, et qui lui soit plus entièrement dévoué que je le suis; je ne doute point que cette justice ne m'ait été rendue par les officiers sous les ordres desquels j'ai servi depuis vingt-neuf ans. Faites-moi la grâce, Monseigneur, d'examiner les apostilles qu'on a données de moi, je suis persuadé que vous les trouverez conformes à ce que j'ai l'honneur de vous avancer; que des services aussi longs et aussi assidus que les miens ne soient donc point, je vous prie, ternis par une faute qui n’a été causée que par la meilleure de toutes les intentions. Le plus grands de mes torts est de ne pas avoir réussi comme je le désirais, je vous supplie très humblement d’en être vivement persuadé, et de protéger la bonne foi dans laquelle j’étais ; c’est elle qui m’a plongé dans tous les malheurs où je me suis précipité.
Je suis avec un très profond respect, Monseigneur, etc. MARTEL
Chippenham, ce 22 avril 1759
On ignore la date et les circonstances du retour en France du capitaine Martel.
- En 1759 il est noté « absence ».
- En 1760, il est « rayé des listes par lettre de M. Berryer à M. Andrieux du 27 mars ».
Le 4 juin 1760, il était à Pioussay pour les cérémonies du baptême de son fils Rolland-Roch-Sophie. Notes - Les gardes marine sont de jeunes gentilshommes choisis et entretenus par le roi dans ses ports pour apprendre le métier de marin et en faire des officiers. Ils sont organisés en compagnies dans les ports de Toulon, Brest et Rochefort. Ce sont de ces compagnies que l’on tire tous les officiers de marine, elles correspondaient à l’Ecole Navale actuelle.
- Les chevaliers de Saint Jean de Jérusalem ont remplacé les Templiers. Un commandeur est un chevalier de Saint Jean de Jérusalem pourvu d’une commanderie
- La plus vaste des 3 îles du Salut sur la côte de Guyane.
- Possession française à l’époque
- Sous brigadier et brigadier sont des grades des gardes marine
- La Valeur : frégate construite à Rochefort en 1754, ce navire appartenait au roi. D’un déplacement de 450 tonneaux, il disposait de 20 canons et d’un équipage de 200 hommes.
Le Belliqueux : vaisseau de 64 canons mis en service en décembre 1756, armé en flûte (sur le pont de batterie, les bouches de feu sont disposées sur un seul rang pour permettre le transport de troupes ou de matériel). Après sa capture par les anglais, il sera remis en service dans la Royal Navy.
Recherches faites et documents transcrits par Gérard Boursier que nous remercions.