Du blé au battage


La part des pauvres ou le glanage
Bien que ceci paraisse injuste : on n'a pas le droit de mener paître ses bestiaux dans son champ aussitôt le moisson faite. Il faut laisser écouler deux jours pleins, non compris celui de la récolte.
Cette loi est très ancienne et fait la part des malheureux. On lit dans la Bible : « Vous ne ramasserez pas les épis tombés, mais vous les laisserez prendre
à l'orphelin et à la veuve ».
D'après cette loi, établie chez nous par Henri II, lorsque la moisson est finie « les gens vieux et débilités, de même que les petits enfants ou autres personnes qui n'ont ni pouvoir ni force de scier les blés » peuvent, seuls venir glaner.
Ce droit de glanage s'applique aussi au râtelage, au grappillage ; c'est-à-dire que les pauvres d'une commune, de même qu'ils ont la permission de ramasser les épis oubliés, peuvent aussi enlever dans les prés le reste de foin et cueillir les grappillons de raisins et les fruits (noix, pommes, châtaignes) qui ont été laissés sur les herbes, la récolte terminée.
Le glanage, le râtelage et le grappillage ne peuvent s'exercer qu'entre le lever et le coucher du soleil, et le propriétaire du champ lui-même ne peut permettre à certaines personnes de glaner sur sa propriété avant les autres et avant enlèvement des récoltes.
Le glanage avec des râteaux est absolument prohibé.
Aussitôt que les gerbes ne sont plus sur le sol, le char qui doit les emporter fut-il encore dans le champ, la moisson est considérée comme terminée et le glanage peut commencer sans que personne, pas même le propriétaire du champ, puisse€e s'y opposer.
Si le propriétaire envoie paître ses bestiaux avant le délai expiré, il est passible d'une amende égale à trois journées de travail. Les champs clos ne sont pas soumis au glanage.
R. Ch.


 

Tableau de semailles
De toutes parts, on semait : il y avait un autre semeur à gauche, à trois cents mètres, un autre plus loin, vers la droite, et d'autres encore s'enfonçaient en face, dans la perspective fuyante des terrains plats. C'étaient de petites silhouettes noires, de simples traits de plus en plus minces, qui se perdaient à des lieues.
Mais tous avaient le geste, l'envolée de la semence que l'on devinait comme une onde de vie autour d'eux. La plaine en prenait un frisson, jusque dans les lointains noyés, où les semeurs épars ne se voyaient plus.
Emile Zola (La Terre).

Le semeur
C'est le moment crépusculaire,
J'admire, assis sous un portail
Ce reste de jour dont s'éclaire
La dernière heure du travail.

Dans les terres de nuit baignées,
Je contemple, ému, les haillons
D'un vieillard qui jette à poignées
La moisson future aux sillons.

Sa haute silhouette noire
Domine les profonds labours.
On sent à quel point il doit croire
A la fuite utile des jours.

Il marche dans la plaine immense
Va, vient, lance la graine au loin
Rouvre sa main et recommence
Et je médite, obscur témoin,

Pendant que, déployant ses voiles
L'ombre, où se mêle une rumeur,
Semble élargir jusqu'aux étoilas
Le geste auguste du semeur.
V. Hugo. - Les Chansons des rues et des bois


Les blés
La Beauce étendait ses blés mûrs sous le ciel de flamme. Depuis les dernières averses de l'été, la nappe verte, toujours grandissante, avait peu à peu jauni. C'était maintenant, une mer blonde, incendiée, gui semblait refléter les flamboiement de l'air, une mer roulant ses vague€s de feu au moindre souffle. Rien que du blé, sans qu'on aperçut ni une maison, ni un arbre, l'infini du blé. Les faucheurs étaient partis des pièces du nord, descendait vers celles qui bordaient la vallée ; et gerbe à gerbe, la nappe immense tombait, chaque coup de faux mordait, emportait une entaille ronde.
E. Zola.



La moisson
Puis vient l'ardente canicule ;
Sous un inaltérable azur,
Le souffle chaud du crépuscule
Apporte une odeur de blé mur.
Alors le travail des batteuses
Emplit l'air de ronflements sourds ;
Le sol des routes caillouteuses
Tremble au poids des chariots lourds ;
Et comme une ruche trop pleine,
Sous le soleil aux feux plongeants,
La ferme répand sur la plaine
Tout, son monde, bêtes et gens.
A. Theuriet.



Le ciel était d'un bleu pur ; le soleil déclinait, illuminait obliquement toute la vallée ; les chaumes semblaient pétiller sous cette flambée de rayons ; l'air avait ce tremblement particulier aux journées de grandes chaleurs et dont le susurrement strident des sauterelles vertes est comme l'accompagnement obligé. Dans cette éblouissante lumière, les paysans les bras, le cou et le poitrail nus, soulevaient, à la pointe des fourches, les gerbes et les lançaient aux femmes juchées au sommet des charrettes. Celles-ci, n'ayant pour vêtement qu'un jupon de cotonnade, et la chemise nouée au cou par une coulisse, se détachaient, blanches sur le bleu du ciel et le roux doré des gerbes.
A. Theuriet.



Le battage
Attelés au manège qui met en mouvement la machine à battre, deux chevaux robustes, las et patients, la tête dans un sac, tournent incessamment et font ronfler les roues et siffler les courroies.



 
Un enfant agite son fouet pour les exciter et pour chasser les mouches avides de leur sueur. Des hommes coiffés de ce béret venu des Pyrénées en Gironde, apportent sur leur dos les lourdes gerbes que les femmes, en grand chapeau de paille, pieds nus sur la toile grise de l'aire, donnent à mâcher par poignées, à la batteuse qui bourdonne comme une ruche. Un maigre et vigoureux garçon enlève, du bout de sa fourche, la paille découronnée et mutilée, tandis que les grains de blé, versés dans une vanneuse à manivelle, abandonnent aux souffles de l'air les débris de leurs tuniques légères.


Bêtes et gens agissent de concert avec la lenteur obstinée des âmes rustiques...
Ces femmes, ce€s hommes hâlés, le regard pâle, la bouche lourde, le corps appesanti, ne sont pas sans beauté. La franchise de leur costume traduit avec exactitude tous les mouvements de leurs corps, et ces mouvements, appris des aïeux depuis un temps immémorial, sont d'un€ simplicité solennelle. L'or des gerbes les environne, une poussière blonde flotte autour d'eux, comme la gloire de cette antique Cérès éparse encore dans nos champs et dans nos granges.
A. France.




La machine à battre
Il n'y avait pas de temps à perdre. La vanneuse avait ses six mille gerbes à avaler dans la journée ; et, bien, qu'elle fût une grosse mangeuse, il ne fallait point s'arrêter si l'on voulait en finir avant la nuit.
Les engreneurs lui poussaient la paille de loin par gestes prudents. Parfois, ils lui jetaient des gerbes entières ; alors, elle faisait entendre au fond de sa longue gueule noire un râle de satisfaction inouïe, et puis, tout de suite, elle recommençait à ronfler, à jurer, à rugir.
Ernest Pérochon.





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